«Maximes en forme de préface», extraits des entretiens télévisés réalisés par Claude Santelli et Françoise Verny en 1973, in Bernard Gavoty, Lettre à Mozart sur la musique, Paris, Emile-Paul, 1973, p. 11-16.
Qu'est-ce qu'un homme de génie en art ? C'est un homme qui crée ce qui n'avait pas d'expression avant lui. Il y a donc la littérature, la peinture, la musique avant et après lui.
Un coup de génie, c'est Shakespeare inventant Hamlet. Mozart créant Don Giovanni. Inventer, c'est aller chercher le sel dans l'océan, le sel dont personne n'a aucun besoin. Cette trouvaille est celle même du grand artiste
Les grandes figures de l'humanité sont toutes liées à une transcendance – pas à une technique – à une transcendance. La science, d'aucune manière, ne remplace la métaphysique. Qu'est-ce que la science ? C'est le domaine de la connaissance. Aucune science ne peut répondre à la question : que faisons-nous sur terre ?
Ce que nous vivons aujourd'hui, c'est, assurément, la fin d'une civilisation – seulement, ce n'est pas la fin d'une technique. Avant nous, la fin d'une civilisation, c'était aussi la fin de la technique de cette civilisation. Possesseurs d'une technique inégalée, nous sommes dénués en face d'un énorme problème : le sens du monde. Comment vivre la mort d'une civilisation ? C'est nous qui, sans doute, donnerons la réponse. Nous sommes à l'époque des catacombes. Je demande qu'on me cite un écrivain ou un artiste pour qui le monde moderne ait une signification. La signification du monde n'a rien à voir avec la science ou la logique. Une seule réponse : la religion. Ou il y aura une nouvelle religion – métamorphose de la religion actuelle, peu importe – et, alors, il y aura une nouvelle réponse. Ou bien il n'y aura pas de réponse religieuse : alors, il n'y aura pas de réponse du tout. Le sens de la vie ne peut prendre qu'une forme religieuse.
L'art, pour la première fois, nous pose une question métaphysique et non plus une question artistique. Une question terrible : nous sommes sur quelque chose qui échappe au temps traditionnel, à la durée – non par transcendance, c'est-à-dire par une immortalité – mais par une métamorphose.
