art. 120, décembre 2011 • Günther Schmigalle : «Malraux et Münzenberg : sur un livre de fausses révélations» (1996 et 2011)

Dans un congrès qui s'appelle «Malraux l'homme des univers», un apport sur Malraux et l'univers du communisme paraît s'imposer. Il est vrai qu'il s'agit là d'un sujet immense sur lequel se pourrait écrire un gros livre. Pour pouvoir l'aborder dans le cadre limité d'une conférence, j'ai décidé d'en traiter seulement un aspect, à savoir, les relations entre Malraux et Willi Münzenberg. Plus exacte­ment, je voudrais analyser les «révélations» sur la relation entre Malraux et Münzenberg qui ont été avancées dans un livre qui a fait grand bruit : Double Lives, de l'auteur américain Stephen Koch. La thèse fondamentale de ce livre est que la collaboration entre Hitler et Staline n'a pas commencé avec le fameux pacte de l'année 1939, mais beaucoup plus tôt : sur un plan clandestin, elle aurait fonc­tionné dès l'année 1933. Il s'ensuit que le mouvement antifasciste et les fronts populaires anti­fascistes n'étaient, fondamentalement, que des façades érigées sur l'ordre de Staline qui désirait camoufler la politique terroriste qu'il pratiquait à l'intérieur de l'Union Soviétique, pour éliminer l'opposition et consolider sa dictature. Les intellectuels qui s'engageaient dans les luttes antifascistes des années trente auraient donc été des instruments de la politique de Staline, de la même façon que ceux qui travaillaient directement comme espions soviétiques. La figure clé dans ce jeu diabolique aurait été, justement, le communiste allemand et dirigeant du Komintern, Willi Münzenberg, qui, installé dans son bureau parisien, manipulait à sa volonté le mouvement antifasciste.

Le livre de Koch a eu un grand succès auprès du grand public (il a été publié aux États-Unis, en Angleterre et en France), mais ses thèses ont été rejetées par des historiens compétents, qui lui ont reproché son ignorance du mouvement ouvrier, son sensationnalisme et sa manipulation des sour­ces. Cependant, je voudrais me limiter ici à examiner ses «révélations» sur André Malraux. Malraux, pour Koch, est le prototype de l'intellectuel qui, par idéalisme ou par vanité, fait le jeu des commu­nistes et se laisse manipuler par eux; c'est la victime par excellence de Münzenberg. Résumons, en trois points, ce que Koch écrit sur Malraux : 1° Ce fut Münzenberg qui envoya Malraux et André Gide à Berlin, apparemment pour parler avec les dirigeants nazis et réclamer la libération de Di­mitrov; en réalité, cependant, ce voyage était «un marché de dupes et un mensonge». 2° Ce fut Mün­zenberg qui, au nom du gouvernement soviétique, poussa Malraux à s'engager dans la guerre civile espagnole, comme trafiquant d'armes et comme propagandiste. 3° Pour ce qui est des œuvres de Malraux, Koch affirme que les romans dont l'action est située en Chine, Les Conquérants et La Con­dition humaine, sont inspirés par la propagande du Komintern; Le Temps du Mépris, selon lui, fut écrit sur ordre de Münzenberg et avec l'aide de Willi Bredel et de Manès Sperber; L'Espoir, d'autre part, serait un roman «très bon», même «superbe», bien que son inspiration soit aussi, en premier lieu, de caractère propagandiste. Analysons ces affirmations une par une.

Lire la suite : télécharger l’article.
 
 
© Présence d’André Malraux sur la Toile / www.malraux.org
 
Texte mis en ligne le 27 décembre 2011.
 
 
logo