«Que reste-t-il de Malraux au Cambodge ?»

Quand mon amie Brigitte m'a annoncé qu'on lui avait confié une mission scientifique au Cambodge, je lui ai demandé : «Si tu en as l'occasion, renseigne-toi pour moi : que reste-t-il de Malraux au Cambodge ?»

 

«Pardon, vous parlez français?» La question, au Cambodge, reçoit des regards perplexes. L’ancienne colonie française, indépendante depuis 1953, avait conservé des locuteurs et une influence culturelle de l’Hexagone. Le génocide perpétré par les Khmers Rouges entre 1975 et 1979 a pris pour cible, entre autres, les intellectuels, à savoir ceux qui parlaient français, avaient fait des études, ou portaient simplement des lunettes.

Entre 1,5 et 2,5 millions de Cambodgiens ont été tués par les leurs, soit environ 25 % de la population. Aujourd’hui, on ne croise guère de personnes âgées, et encore moins de francophones: un effet de la décolonisation bien sûr, mais aussi du génocide. Quand à Malraux, il est évoqué rarement, soit de manière négative (pour avoir tenté de voler des statuettes du temple de Banteay Srei et s’être fait prendre la main dans le sac), soit comme marque de qualité ou de réputation française, sur la devanture d’un restaurant, dans un menu ou une anecdote livrée par un guide.

Les marchés de Phnom-Penh et Siem Reap regorgent de contrefaçons : DVDs, sac à main, vêtements, mais aussi livres qui touchent au Cambodge. Parmi les volumes plus ou moins biens reliés, qui se focalisent sur le génocide ou sur le tourisme, on trouve parfois un exemplaire de La Voie Royale ou dans sa version anglaise, The Royal Path. La couverture est identique, le format du livre un peu étrange. On dirait un livre de poche (et le logo de couverture porte ce nom), mais un brin plus large et plus long.  A l’intérieur, plus de doute : les pages ont été photocopiées, agrandies et reliées. Même le nom de la propriétaire du volume, une certaine Caroline, et l’année de sa lecture (1996) ont été reproduits.

Malraux n’est plus un aventurier, mais un voleur; plus un ministre de la culture, mais un restaurant touristique. Il n’est plus un écrivain, mais une photocopie de lui-même, agrandie, déformée, qui tient encore par une ligne de colle.

Brigitte Sion – septembre 2009

 

 

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Le restaurant «Le Malraux» à Siem Reap

 

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«Nous n’avons pas le choix…»,
où l’on voit bien qu’il s’agit d’infâmes photocopies de La Voie royale

L’édition originale («Le Livre de poche») : 11 cm x 17,7 cm
L’édition pirate : 12,3 cm x 19, 5 cm