Joseph Kessel : «André Malraux : “La Condition humaine”», 1933

Lorsqu'un ouvrage de début, par un chemin imprévisible, est allé loin dans la sensibilité des lecteurs, nul ne peut savoir si c'est, pour le romancier, une faveur ou une infortune. Il connaît assurément la grande et fraîche joie, l'espoir timide tout à coup comblé, dépassé, l'étonnement radieux qui ressemble aux naïfs bonheurs de l'enfance. Une sécurité matérielle, un réconfort moral viennent le soutenir dans sa lutte première contre la vie et contre lui-même.

Mais, en revanche, quelle ombre une telle réussite projette sur l'ouvrage à venir ! Le choc de la surprise ravie ne jouera plus jamais. Les esprits critiques attendront avec exigence, avec scepticisme, le prochain livre.

– C'est trop beau, pensent-ils… Un coup de chance…La matière est épuisée…

Pour les autres, plus nombreux, qui n'analysent point, qui se laissent aller à leurs simples réactions, une sorte de pli est déjà pris. Machinalement, candidement, ils espèrent que la suite doit répondre au commencement, pour le sujet, l'atmosphère, la démarche. Ils seront déçus pour le changement de style, l'enrichissement, l'épaisseur que donne toujours une vie mûrissante.

Et tous diront en soupirant, avec le plus sincère regret, la plus douce cruauté :

– C'est le premier livre que je préfère.

 

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© www.malraux.org / texte mis en ligne le 17 février 2010.

 

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