art. 106, août 2011 • Myriam Sunnen : «Malraux et la maya» – INEDIT

Quiconque aborde l'œuvre malrucienne par les écrits sur l'art et en particulier par La Métamorphose des dieux ne peut que s'étonner devant les nombreuses occurrences du terme « apparence » et de ses synonymes ou quasi-synonymes tels que « illusion » ou « maya ». Cette prolifération est d'autant plus étonnante que l'on trouve souvent « apparence » là où on s'attendrait à lire « réalité », tout comme si, à la manière d'un certain nombre de philosophes, Malraux suggérait que le monde dans lequel nous vivons relevait de l'illusion. Ne précise-t-il pas qu'il emploie « Apparence » au sens « métaphysique », voire « religieux » du terme, en le dotant en plus d'une majuscule ? Un tel usage semble a priori incompatible avec l'agnosticisme dont l'écrivain s'est toujours réclamé ; il est aussi difficilement conciliable avec l'image que l'on se fait d'habitude de cet homme engagé « dans le siècle ». Or, le fait que Malraux se réfère souvent à l'apparence ne signifie pas qu'il y oppose un absolu, comme le font certains penseurs ayant placé l'apparence au centre de leurs préoccupations. Dans beaucoup de passages concernant l'apparence, Malraux exprime moins sa propre pensée qu'il ne s'applique à montrer qu'aucun artiste ne tente d'imiter les formes du monde réel. Afin de nous rendre sensible ce phénomène essentiel à ses yeux, il se réfère à l'art des civilisations religieuses, toujours anti-illusionniste dans la mesure où il s'adresse à des gens pour qui il existe un absolu religieux ne coïncidant pas avec le monde phénoménal. Si, dans l'« In­troduction générale à La Métamorphose des dieux », Malraux renvoie de manière particulièrement insistante à la philosophie et à l'art indiens, c'est parce que l'idée que le monde est maya est capitale dans certains courants de l'hindouisme – et parce que ces courants lui permettent de donner à sa réflexion sur l'anti-illusionnisme une dimension métaphysique. « L'Inde », écrit-il, « nous enseigne chaque jour que [l'au-delà des grandes religions] peut être un état de conscience ; qu'au sentiment (et non à l'idée) de l'apparence, répond le sentiment de ce qui la fait apparence. Toutes les civilisations qui l'ont éprouvé l'ont tenu pour la prise de conscience de la Vérité suprême. Et si la Mésopotamie, l'Égypte, l'Iran, en connaissent seulement ce qu'en a conservé l'Islam, il anime depuis le Mysore jusqu'au Cachemire les récits populaires après avoir animé la prédication de Ramakrishna naguère, les Purâna jadis. » D'après ce passage, l'interrogation devant le monde sensible serait une donnée anthropologique que l'on retrouverait dans toutes les civilisations. L'Inde seule toutefois aurait fondé sa métaphysique et sa culture sur ce « sentiment de l'apparence » en affirmant que le monde est maya face à l'absolu.

 

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© Présence d’André Malraux sur la Toile / www.malraux.org

Texte mis en ligne le 1er août 2011

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