art. 122, janvier 2012 • Françoise Theillou : «Malraux décorateur : un Salon de musique pour “La Lanterne”.» INEDIT

Nous sommes le 5 juillet 1962 : climat politique délétère, « anniversaire » de la mort tragique de ses deux fils, l'année précédente, dans un accident de voiture, un deuil qui a précipité la déroute d'un couple qui ne se parle plus et se retrouve face à face, impuissance littéraire, incapacité à assumer régulièrement ses fonctions de ministre, recours exagéré à l'alcool, Malraux est dans l'impasse. Une situation qu'il essaie généralement de conjurer, à sa manière, fait déjà remarquer, non sans quelque perfidie, Clara Malraux dans Nos vingt ans, « en changeant de jouet ». Il se livre, avec frénésie à la décoration de La Lanterne « son divertissement de chaque instant, de toutes nos fins de semaine », écrit Alain Malraux.

Les Manufactures et le Garde-meuble, aujourd'hui Mobilier national, créés par Colbert ont conservé à travers les siècles et les régimes leur mission permanente de fournir ameublements et ornements, hier aux demeures royales, aujourd'hui aux palais nationaux et hauts lieux de la République. On désignait autrefois par meuble (étymologiquement « tout ce qui peut être déplacé »), à la fois l'ameublement proprement dit mais aussi les objets, les étoffes : drapeaux, rideaux, literie, tapisseries surtout, si indispensables au confort de l'époque. L'institution était donc censée permettre au roi, où qu'il se déplaçât, de lui offrir un cadre de vie approprié à sa gloire. Une gestion rigoureuse, d'autre part, des divers éléments du « meuble », permettait de les recenser, de les entretenir, voire de les restaurer de manière à préserver un précieux patrimoine. Notre République « régalienne » a perpétué cette prérogative. Avec des aménagements certes, des procédures annuelles de récolement plus strictes, des usages à suivre, ou de simples recommandations comme « de  respecter l'esprit des lieux » qui prêteraient à sourire si elles ne laissaient supposer de fâcheuses entorses au goût. Quoi qu'il en soit, le Mobilier national, précédemment rattaché au ministère des Beaux-Arts, passe à « la Culture » en 1959, l'année même de la nomination de Malraux Ministre d'Etat chargé des Affaires culturelles. L'écrivain en est donc le supérieur hiérarchique, un « patron » qui a en tête toutes les collections. Rappelons-nous : « J'ai une mémoire visuelle absolument anormale… »

A l'été 1962 donc, Malraux succède à La Lanterne à Michel Debré. Une lecture attentive du dossier Lanterne aux archives du Mobilier National permet de se faire une idée de l'aménagement des lieux à son arrivée. Les Debré ont notablement enrichi le mobilier de la demeure, empruntant au Château de Versailles ou à l'Elysée; ils ont aussi maintenu et accru le décor « Empire » d'origine, plutôt minimal. Madame Debré a fait refaire sièges et rideaux. Velours de lin bleu Nattier et velours de coton côtelé jaune sont conjugués pour les sièges ; pour les tentures, du shantung. Le souci de cohérence, au regard de la disparate antérieure, a été privilégié : Grand et Petit Salon sont « Louis XVI », la Salle à manger « Empire ». Toutes les chambres ont elles aussi été entièrement refaites. Malraux entre donc dans une demeure équipée et meublée… au goût de ses prédécesseurs, et dans un style « classique ».

 
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 © Présence d’André Malraux sur la Toile / www.malraux.org

Texte mis en ligne le 6 janvier 2012
 
 
 
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Paravent Panorama de Paris, Raoul Dufy, 1924-1933, M.N.
 
 
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 Grand fauteuil Les Champs Elysées et Chaise Notre-Dame. Raoul Dufy. M.N.
 
 
 
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