1967/12/06 • André Malraux : «Intervention à l’Assemblée Nationale, 6 décembre 1967»

André Malraux

Intervention à l'Assemblée Nationale, 6 décembre 1967

 

Présentation du projet de loi de programme
relatif à la restauration des monuments historiques
et à la protection des sites

 

L’effort des archéologues français au Cambodge, des Hollandais à Java, des Anglais aux Indes a été sans précédent. Les constructeurs de Brasilia restaurent leurs villes baroques ; l’Union soviétique restaure les monuments byzantins mieux que ne faisaient les tsars. Il ne serait pas concevable que la France négligeât ses monuments quand le Mexique restaure ses pyramides aztèques, quand Pékin met en place le plus vaste appareil archéologique que la Chine ait connu, et quand l’Égypte par la voix d’un Français, fait appel au monde pour sauver les temples menacés par le barrage du Nil.

Les causes de cette résurrection qui couvre la terre sont multiples, et je n’envisagerai pas les plus profondes qui suscitent aussi la résurrection des arts de presque toutes les civilisations disparues. Mais il en est une qui doit nous retenir. Ces monuments que nous appelons insignes, ce ne sont pas les peuples qui les ont conçus, mais ce sont bien les peuples qui les ont construits. Lorsque les prestations capitales passent lentement de l’Église aux rois, le patrimoine français passe des cathédrales à Versailles. Comme si la grandeur des monuments était encore chargée de la peine des hommes, le Soviétique qui passe reconnaît dans le palais des tsars ce qui lui appartient ; et à Pékin, la massive architecture sibérienne du « bond en avant » s’arrête devant la splendeur légendaire de la Cité interdite.

C’est que ces monuments, comme tous ceux que vous avez sauvés, que vous allez, je l’espère, sauver, ont subi une immense métamorphose. Vincennes n’est plus pour nous une forteresse féodale, ni Versailles un lieu de plaisir des rois. Châteaux, cathédrales, musées, sont devenus les jalons successifs et fraternels de l’immense rêve éveillé que poursuit la France depuis près de mille ans.

Chefs-d’œuvre, sans doute ; lieux que nous devons transmettre comme ils nous ont été transmis ; mais quelque chose de plus que la beauté, qui est précisément l’âme de ce grand rêve.

 

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