art. 170, janvier 2016 • Françoise Theillou : «Les tartines de Bondy» – Inédit

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Ecole de Bondy vers 1910. André avait 9 ans. Peut-être figure-t-il sur cette photo.

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Inédit


 

Malraux a caviardé sa préhistoire et, mine de rien, l'ensemble de ses biographes, même les plus affutés, lui ont emboîté le pas. Bondy l'innommable, l'anathème jeté sur « l'enfance chenille, l'annulation pure et simple de l'enfant qu'il fut pour avoir été « le fils de l'épicière », bref, l'insoutenable humiliation d'avoir été calicot, quand on s'appelle Malraux, tous l'ont avalisée d'un même élan, fascinés qu'ils étaient par une espèce d'antinomie, une réalité à peine croyable, une farce du destin qui ne méritait d'être mise en scène que pour en dénoncer l'horreur. Et d'évoquer « la plus lointaine et grise des banlieues » (Jean Lacouture), « les fréquents brouillards de l'Aulnoy sur le canal de l'Ourcq » invitant à « un spleen d'où serait jailli l'appel à l'aventure dans un bourg qui ne semblait avoir aucune raison d'exister » (Robert Payne), « l'enfance mélancolique et retranchée d'un petit banlieusard fils de divorcés couvé par trois femmes possessives » (Jean Lacouture encore), sa grand-mère, sa mère, et sa tante célibataire. Jean- François Lyotard, à cet égard, nous livre une brillante analyse d'un enfant acharné à échapper « à la promiscuité des jupes », aux « trois mères », à se soustraire « à la glu ». Se donner naissance et ne rien devoir aux femmes, ne plus entendre l'aigre grelot de l'épicerie familiale, passer « d'un destin subi à un destin dominé » (Malraux, Antimémoires). Soit. Nul ne pourra jamais contester la cuisante humiliation de « sortir de la boutique » (il eût peut-être mieux supporté d'être fils de paysan ou d'ouvrier…) d'où procède la rancune envers des femmes qui lui ont, jusqu'à leur fin, tout donné, et d'abord ses mains blanches et fines, ni lui dénier ce besoin d'annulation des origines ou d'« embellissements pathétiques » qui le conduisent à raconter à Clara d'énormes bobards « dont elle ne p[ouvait] que soupçonner la fausseté avant même que le cours des événements ne l'en assurât » : une famille vivant dans le luxe, une mère logeant au Claridge, un grand-père armateur. D'autres pourtant, et non des moindres, ont « assumé » : Aragon disséquant avec une minutie sardonique son histoire d'enfant adultérin, Camus, ombrageux et sincère, revendiquant même l'extrême misère du Belcour. « L'orgueilleuse honte de Rousseau, lit-on pourtant dans Antimémoires, ne détruit pas la pitoyable honte de Jean-Jacques mais elle lui apporte une promesse d'immortalité. » Cette métamorphose-là, Malraux en était incapable parce que, s'il reconnaît que « les rêves peuvent appartenir à une enfance qui est le pôle de la vie », « qu'il n'y a pas de grand art même sans une part d'enfance, et peut-être même de grand destin », l'artiste ne sort pas de l'enfant, le bambin ne donne pas l'écrivain. « Pas un peintre n'est passé de ses dessins d'enfant à son œuvre. » Pour qu'il y ait métamorphose, c'est-à-dire création, il faut qu'il y ait rupture. Position proche de celle de Proust (qui avait aussi beaucoup à cacher) dans le Contre Sainte-Beuve : « L'homme qui fait des vers et qui cause dans un salon n'est pas la même personne », résolument anti-freudienne.

En tout état de cause, clivage et intoxication, il y aurait beaucoup à redire, à préciser et à ajouter sur les enfances bondynoises qui nous ont été dépeintes.


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© www.malraux.org / Présence d’André Malraux sur la Toile

Texte mis en ligne le 22 janvier 2016.