art. 218, mai 2018 | document • Anil de Silva-Vigier : «La Vie du Bouddha», extraits (1955)

Le livre d’Anil de Silva-Vigier est celui qui a le plus inspiré Malraux quand il s’agissait de Siddhârta Gautama.

 


 

Présence d'André Malraux sur la Toile, article 218, mai 2018

Revue littéraire et électronique de <www.malraux.org> / ISSN 2297-699X


 

de Silva-Vigier, Anil, La Vie du Bouddha, Londres – Stock Phaidon press, 1955.


 

Anil de Silva-Vigier

 

La Vie du Bouddha

(Extraits)

 

 

Les principaux passages qui ont retenu l'attention de Malraux sont rendus en gras.

 

La fuite

Or, comme l'on craignait qu'il ne s'enfuît, on demanda à l'officier de garde et à ses hommes de redoubler de vigilance. La première veille passée, la sentinelle s'écria : «Que la vie de Votre Majesté soit longue et heureuse !» En ce début de la nuit, partout régnait le calme, le silence et la paix du sommeil.

Cependant un des Devas s'approcha du palais. Et il fut cause que toutes les femmes qui dormaient dans la chambre attenante à celle du prince, prirent des postures impudiques; certaines étaient à peine vêtues, d'autres gisaient en désordre sur leurs lits, quelques-unes enfin offraient un spectacle des plus désolants. Siddhârtha s'éveilla en sursaut. Lorsqu'il vit le brasier éteint, les lampes sales et fumantes, l'aspect affligeant des femmes dans la demi-obscurité, les instruments de musique dispersés, il murmura : «Seul l'insensé est séduit par les prestiges de l'apparence. Les bijoux, les parures, les vêtements somptueux enlevés, les guirlandes flétries, il ne reste rien des charmes de la beauté. Quelle misère ! Quelle vision terrible ! Derrière cette splendeur dorée, quel néant ! Ce spectacle devrait pourtant me remplir de joie, puisqu'il ne peut qu'affermir ma volonté d'entreprendre mon salut et celui des hommes. En vérité, pareille désolation a de quoi m'éloigner à jamais du monde.»

Il mit ses sandales ornées de pierres précieuses, et, avant de quitter le palais où il avait toujours vécu, il ouvrit la porte de la chambre où, sur un lit jonché de pétales de jasmin, dormaient Yaçodharâ et Râhoula. Une lampe à huile parfumée y répandait une lumière tamisée. «Si je prends mon fils dans mes bras, la princesse s'éveillera et m'empêchera peut-être de partir. Il vaut donc mieux que je retourne auprès d'elle après avoir accompli ma mission. Je me sépare à jamais de tout plaisir.» Soulevant alors le rideau de fine mousseline, il suivit la galerie et sortit du palais. A la porte de l'est, il s'arrêta, joignit les mains et, levant les yeux vers le ciel contempla la voûte étoilée.

Au-dessus de la cité s'étaient rassemblés un nombre incalculable de Devas qui s'adressèrent à lui à l'instant même où l'étoile Kvei entrait en conjonction avec la lune. «Le temps est venu, Prince Vénéré, le temps où il te faudra chercher la Loi. Ne t'attarde pas davantage parmi les hommes. Quitte-les tous et va dans la solitude pour y mener une vie d'ermite.» Et lui, regardant les astres qui brillaient dans le ciel : «Dans le silence de la nuit, à l'instant où l'étoile Kvei entre en conjonction avec la lune, tous les Devas descendent du ciel pour m'affermir dans mon propos. Le temps est venu, il me faut partir.» Sa résolution prise, il appela Tchandaka, son cocher, né le même jour que lui, et lui dit : «Ô Tchandaka, amène-moi sans faire de bruit mon cheval Kanthaka, né le même jour que moi.»

En entendant ces paroles, Tchandaka, le cœur rempli de tristesse, s'écrie : «Prince au front vaste, aux yeux pareils au pétale du lotus, lion des hommes, blanc comme le lys sous les rayons de la lune lorsqu'elle éclaire le chasseur dans les grands bois, où veux-tu donc aller ? Pur comme la fleur du lotus, radieux comme le soleil, superbe et redoutable tel l'éléphant déchaîné, prince entre les princes, ton royaume aux jardins aussi beaux que les palais d'Indra, n'est-il pas riche, immense et prospère ? Les appartements de tes femmes ne résonnent-ils pas du son des flûtes ? Le chant et la danse n'y cessent jamais. Pourquoi quitter tant de délices ? Seigneur au cœur généreux, ne pars pas !» — «Ces charmes périssables ne peuvent plus me retenir, Tchandaka. Selle vite mon cheval.»

Cependant Tchandaka s'obstinait : «N'abandonne pas la fleur utpala, le crocus d'automne, les guirlandes au parfum pénétrant, l'encens à l'arôme capiteux, le noir, le précieux oliban. Ne les abandonne pas, Seigneur, non plus que ces étoffes somptueuses de Bénarès qui protègent contre le froid en hiver et contre la chaleur en été. Où veux-tu aller ? Tu es jeune, tes cheveux sont noirs et ton corps est souple. Réserve le jeûne et la pénitence à ta vieillesse.» Et le prince : «Ephémères sont les plaisirs, Tchandaka, éphémères comme les torrents et la rosée, fragiles comme le tronc du bananier, aussi dangereux à approcher que la tête du serpent, et aussi amers que l'eau de l'océan pour celui qui a soif. En vérité, Tchandaka, ce monde ne me séduit plus, je veux le quitter et devenir ermite.»

Devant tant de fermeté, Tchandaka céda : «Je suivrai vos ordres, ô Prince.» Et il alla aux écuries et mit à Kanthaka le plus somptueux des harnais. Cependant Siddhârtha faisait ce vœu : «C'est pour la dernière fois que je monte aujourd'hui à cheval.» Puis il sauta sur le dos de Kanthaka et le pria de le bien servir en cette ultime occasion. Et comme il se dirigeait lentement vers la porte extérieure du palais, les Devas, les Gandharvâs et les Apsaras, descendus du ciel pour assister au grand départ, entourèrent le prince, et, déployant au-dessus de sa tête des parasols et des bannières à clochettes d'or, répandirent des fleurs sur son chemin.

Au moment du départ, un génie de l'air, un Yakcha, du nom de Payrapada, accompagné d'autres Yakchas, descendit du ciel pour envelopper les sabots du cheval et en amortir les pas. La porte intérieure du palais s'ouvrit d'elle-même sans bruit. Et il en fut ainsi des autres portes.

Ayant quitté le palais, Siddhârtha ordonna à Tchandaka d'aller dans la direction du village Râma. Du milieu de la nuit à la pointe du jour, Tchandaka avança d'un pas léger. Pénétrant dans la forêt, le prince s'approcha des lieux où vivaient les solitaires au milieu des fauves et des oiseaux de proie. Comme Tchandaka et Kanthaka semblaient fatigués, il mit pied à terre et dit : «Je veux prendre du repos.» Puis il flatta le col de Kanthaka et lui murmura des paroles d'amitié. Se tournant ensuite vers Tchandaka, il l'assura de son affectation. Mais Tchandaka : «Pourquoi, ô Prince, avoir entrepris cette expédition ? Pourquoi êtes-vous venu sur cette montagne désolée ?» — «J'ai renoncé au trône, ô mon fidèle, et je me réjouis d'avoir abandonné mon royaume car je vais enfin trouver la paix. Prends maintenant mon cheval, et retourne avec lui au palais.»

 

Il se rase la tête et endosse des vêtements grossiers

Et de sa propre main le prince enleva la précieuse perle Mani qui ornait sa coiffure et la confia à Tchandaka : «Ô Tchandaka, je te prie de retourner cette perle au roi Çouddhodana, mon père. Que je ne sois pas pour lui une cause de souci ni de chagrin. Dis-lui que si j'ai abandonné ma maison, c'est que je désire de tout cœur faire du bien aux hommes et éclairer ceux qui vivent dans l'erreur et les ténèbres. Que mon tendre père, songeant à la joie que j'ai à accomplir ma tâche, bannisse larmes et tristesse.»

Puis, enlevant ses bijoux et ses ornements, il dit : «Désormais je ne porterai plus de parures.» Et il remit ses bijoux à Tchandaka, et lui ordonna de retourner avec eux au palais et de les distribuer aux siens. De sa main droite il dégaina ensuite son épée, trancha ses cheveux bouclés, ses mèches noires pareilles à la fleur utpala. Restaient ses vêtements qui ressemblaient plutôt à ceux d'un Deva qu'à ceux d'un ermite. Au même moment survint, sous les traits d'un chasseur, un Deva portant une robe Kashâya, sale et fripée. Quand le prince le vit, il lui parla ainsi : «Toi qui chasses dans la solitude des montagnes, ne voudrais-tu pas échanger ta robe Kashâya contre mes habits de Kasika ?»

La robe jaune du solitaire

Ne convient pas à qui manie l'arc;

Cède-la-moi, je te le demande en grâce

Réjouis-toi de l'échanger contre un habit somptueux.

Le chasseur répliqua : «Seigneur, j'accepte votre offre.» L'échange se fit pour la plus grande joie de Siddhârtha. Mais quand Tchandaka contempla le prince et vit sa tête rasée et la robe jaune dont il venait de se draper, il fut accablé de douleur, et, tout en larmes, serra contre son cœur le cou de Kanthaka. Secoués de pleurs et de sanglots, ils regagnèrent tous deux Kapilavastou. Et tel était le chagrin de Kanthaka, le cheval, qu'il lui fallut pour le retour huit jours alors qu'à l'aller la moitié de la nuit lui avait suffi.

Dans la ville qui paraissait déserte, abandonnée, régnait la désolation. Quand le peuple aperçut Tchandaka ramenant le cheval, la selle vide, il lui demanda : «Où est le Prince ?» Tout en larmes, anéanti par la douleur, Tchandaka ne put répondre. Et pendant que, en proie à la plus grande affliction, le roi Çouddhodana était allé au Temple de la Pénitence pour y pratiquer les règles de la discipline et de la pureté religieuses, Tchandaka pénétra dans la cour du palais, conduisant le cheval d'une main tandis que de l'autre il serrait les bijoux. Il portait sur son visage une telle tristesse qu'à le voir on aurait cru que son maître était tombé dans quelque bataille. Passant devant les endroits où Siddhârtha aimait à s'asseoir ou à se promener, il criait dans son désespoir : «Ô douleur !» Enfin Tchandaka et Kanthaka s'arrêtèrent. De tous côtés on n'entendait que pleurs et lamentations. Et Yaçodharâ s'en vint reprocher à Tchandaka de lui avoir enlevé son mari et seigneur.

Tout secoué de sanglots, chancelant sous le poids de son chagrin, le roi Çouddhodana accablait de reproches amers le cheval Kanthaka : «Coursier ingrat ! Je t'ai comblé de faveurs et donné mille preuves de ma bonté. Pourtant tu as conduit mon fils aimé loin de moi. La mort t'attend si tu ne m'emmènes à l'endroit où il se trouve. Car je voudrais partager ses épreuves.» A ces reproches, le cheval fut saisi d'un tel désespoir qu'il tomba à terre et mourut. Il devait ressusciter dans le ciel des Trâyastrimças.

 

Pour consulter les extraits : télécharger le texte.

 


 

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Lumbini. Siddhârta naquit sous un arbre ashoka (Saraca indica) 

 


 

 

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Sarnath, le Parc aux Gazelles, où Siddharta proposa son premier enseignement.

 

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Le stupa (reliquaire) de Sarnath

 


 

 

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La pagode de Bodh-Gaya. Derrière l’édifice se dresse l’arbre pipal.
C’est sous un arbre de cette sorte que Siddhârta atteignit l’Illumination

 

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Le Pic des Vautours où le Bouddha pratiqua la première

«transmission en dehors des écritures» que reçut Mahakashyapa

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Kushinagar. Le Bouddha se coucha sur le côté droit et s’éteignit.

 

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