art. 229, août 2018 | document • Paule Denoix : «Malraux : sur les traces d’une légende [en Corrèze]», 1982

Paule Denoix

«Malraux : sur les traces d'une légende. En ce temps-là, Malraux découvrait la Corrèze et s'y installait.»

 

Malraux a découvert la Corrèze en 1938 à l'époque de la rupture avec Clara, sa première épouse. Depuis son retour des combats en Espagne, il vivait plus ou moins ouvertement avec Josette Clotis qu'il comptait épouser lorsqu'il aurait obtenu son divorce, lequel fut retardé par la guerre. Entre-temps, Josette est morte. Ensemble, ils avaient trouvé, on ne sait comment, un hôtel agréable à Beaulieu-sur-Dordogne, le Bordeaux, dirigé par Mme Fournier, qui était devenue leur amie dès le premier séjour.

Ils s'y installent à nouveau pour quelques semaines pendant l'été 1939. Malraux a repris la rédaction de la Psychologie de l'art qu'il avait délaissée pour aller se battre en Espagne. Beaulieu l'inspire : de la fenêtre de sa chambre, il contemple à loisir l'admirable église romane dont le tympan le fait délirer. Il en parle dans ses Antimémoires. Il raconte aussi comment les vieilles servantes de l'hôtel, qui commençaient à le connaître, sont montées le voir en pleurant, le 1er septembre, pour lui annoncer que l'Allemagne avait envahi la Pologne. Quelques minutes plus tard, les affiches de mobilisation générale sont placardées devant l'église. Malraux referme son manuscrit et rentre à Paris.

La guerre est déclarée, il faut la faire, oui mais comment se demande Malraux, qui est réformé depuis 1922. Il se démène et réussit à se faire accepter comme engagée volontaire dans une section de chars d'assaut. L'ancien «colonel» des Brigades Internationales [Malraux n'a jamais fait partie des Brigades internationales], l'homme de lettres habitué des salons parisiens, se retrouve soldat de 2e classe, au garde à vous, capote kaki, bandes molletières et mèche qui dépasse du calot, devant un sous-off dans la cour d'une caserne de Provins. Toujours «dandy», il s'est commandé une vareuse chez Lanvin pour rejoindre son unité. C'est peut-être ce geste ostentatoire qui incite le sous-off en question à l'envoyer faire une marche de 30 km, sac au dos. Malraux s'en tire bien.

De novembre 1939 à mai 1940, il a tout le temps d'apprendre à graisser les chenilles et démonter les mitrailleuses des tourelles. Il se définit lui-même comme un «apprenti-tankeur». Sa guerre sera dérisoire, il ne le cache pas. Son unité a à peine eu l'occasion de tirer et les chars sont en mauvais état. Malraux sera légèrement blessé.

A la mi-juin 1940, il est prisonnier entre Sens et Provins. Ils sont 10.000 soldats désœuvrés, affamés, écœurés, dans un camp provisoire. Au milieu de cette pagaïe, Malraux s'interroge sur les raisons qui ont fait perdre la guerre. Fin juin, il prend connaissance d'un des premiers textes de de Gaulle et le trouve bon.

Tout en faisant la moisson, en volontaire du côté de Sens, Malraux cherche à s'échapper. Par l'intermédiaire de Roland, demi-frère de Malraux, Clara, toujours officiellement son épouse, lui envoie de l'argent, des vêtements civils et des chaussures, trop petites, racontera Malraux. Et, c'est les pieds meurtris qu'il s'évade avec le futur aumônier du Vercors, l'abbé Moguet [l'abbé Magnet], qui lui offre l'hospitalité dans la Drôme, chez lui.

Pendant que Malraux se dirige vers la zone libre à la fin de l'été 1940, Josette est à Paris sans aide, sans soutien, et met au monde leur premier fils : Pierre-Gauthier. En automne, Josette et Malraux sont réunis dans le Midi d'où il espère rejoindre la France Libre via l'Afrique avec quelques compagnons. Faute d'un appel ou d'un appui, ce projet n'aboutira pas.

Malraux ne reçoit plus d'argent de ses éditeurs en zone occupée : c'est pratiquement la misère et force lui est bien de s'installer chez les parents de Josette à Hyères, lesquels désapprouvent ce ménage irrégulier.

Mais la providence veille sur Malraux : en allant rendre visite à ses amis Gide et Martin du Gard, eux aussi réfugiés sur la côte, Malraux retrouve un jeune Américain : Varian Fry, qu'il a rencontré aux U.S.A. pendant sa tournée de propagande pour les Républicains espagnols. Varian Fry dirige un Comité de rapatriement à Marseille et reste en contact permanent avec l'étranger. Grâce à lui, Malraux reçoit désormais de l'argent de son éditeur américain. Toujours à travers Varian Try, Malraux envoie une lettre à de Gaulle qu'il admire déjà pour offrir ses services au FFL autant que possible comme aviateur. Il n'a jamais eu de réponse et en a conclu que ses engagements politiques antérieurs déplaisaient au général. Vingt ans plus tard, coup de théâtre : Malraux apprend que la propre secrétaire de Varian Try, prise dans une rafle alors qu'elle portait ce message, l'avait avalé pendant son trajet dans le panier à salade. Stupéfiant, non ? Voilà comment sa première tentative d'entrer dans la Résistance a échoué. Si le message était parvenu jusqu'à de Gaulle, si le contact s'était établi, il n'y aurait peut-être jamais eu de Malraux en Corrèze et en Périgord. Il n'y aurait peut-être pas eu de colonel Berger. Mais Malraux aurait sans doute donné naissance à une autre légende.

 

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