art. 188, juin 2016 | document • Claude Pillet : «Quand rues, écoles ou centres culturels portent le nom d’André Malraux : petite question de sociologie de la littérature» (inédit)

 

L'enquête

Une rapide enquête menée sur la Toile a permis d'établir un premier inventaire (tout provisoire selon son état du 12 juin 2016) des institutions ou des noms du domaine public qui ont reçu celui d'André Malraux. Un premier classement a réparti l'ensemble des noms trouvés en trois catégories :

  1. Les institutions et lieux culturels et sportifs. Sont concernés :
  • les centres ou les espaces culturels, les centres sociaux ou socioculturels, les théâtres, les maisons de quartier, les salles, auditoriums ou locaux portant le nom de Malraux (64 noms) ;
  • les bibliothèques, médiathèques, musées, galeries et espaces d'art (20 noms) ;
  • les gymnases et les centres de sport (16 noms).
    L'ensemble de la catégorie compte actuellement 100 noms.
  1. Les institutions scolaires :
  • les écoles maternelles et/ou les écoles élémentaires (43 noms) ;
  • les collèges (29 noms) ;
  • les lycées, y compris les lycées professionnels (10 noms).
    L'ensemble compte 82 noms.
  1. Les noms des espaces situés dans le domaine public : rues, avenues, boulevards, places, squares, allées, parcs, jardins, etc.
    Total : 205 noms.

Brèves constatations

Les institutions très faiblement représentées ou tout à fait absentes de mes listes constituent sans doute un indicateur sérieux du sens que peut avoir la référence à Malraux quand il s'agit de donner son nom à une institution publique. Un seul musée, en effet, porte le nom de l'auteur du Musée imaginaire et des Voix du silence : le «MuMa», le Musée d'art moderne André Malraux du Havre. Aucune université ne porte ce nom alors même que l'écrivain est auteur d'une œuvre qu'il n'est pas déraisonnable de considérer comme importante à plus d'un titre – en dépit du fait qu'on peut ne pas l'apprécier. Car c'est bien de cela qu'il s'agit dans cette absence : son nom, excessivement présent s'il s'agit d'écoles maternelles et élémentaires, voire de collèges, devient rare quand il s'agit de lycées, comme si l'œuvre de l'écrivain ressortissait à une forme de culture populaire où ont pris place Prévert ou Saint-Exupéry, Alexandre Dumas ou Jules Verne. Je n'affirme pas qu'il existe une corrélation directe entre la non-existence d'une «Université André Malraux» et la désaffection dont souffre son œuvre dans le monde universitaire : je n'y vois que l'indice que cette œuvre, représentée par le nom de son auteur, peut passer pour indigne de figurer au fronton des Hautes Ecoles, comme si ce dont s'occupe l'Université ne peut concerner ce qui touche de près les écoles primaires et les rues. En ce qui concerne les musées, c'est un peu la même chose : l'idée que se fait Malraux de l'art se situe en si parfaite indépendance de tout enseignement universitaire et échappe si nettement à toute tradition de la critique d'art que les officiels des Musées et les hauts fonctionnaires de l'art écartent l’auteur de Saturne et du Surnaturel qui ne semble être lu que par des amateurs.

Que tant d'écoles élémentaires portent le nom de Malraux est tout de même étrange si l'on se souvient des difficultés que son œuvre et sa pensée sur l'art peuvent imposer à ceux qui s'y intéressent vraiment. Il faut se souvenir, en effet, que l'on a donné à plus d'une institution le nom de Malraux par défaut, simplement parce qu'elles se trouvaient «rue André Malraux» par exemple. Et si, en revanche, l'on a choisi délibérément si fréquemment son nom pour désigner des espaces publics, ce n'est sans doute pas parce que Monsieur le Maire ou le Conseil municipal considéraient L’Espoir ou les Antimémoires pour de hauts chefs-d'œuvre, mais bien parce que le ministre-écrivain, naguère célèbre aventurier, était devenu compagnon du général de Gaulle et écrivain-vedette au verbe éclatant que l'on voyait si souvent dans Paris-Match ou à la télévision. Il pouvait représenter à leurs yeux un symbole politique et une popularité qu'il convenait de reprendre un peu à leur compte. Et s'il ne s'agissait pas d'opportunisme politique, il était question de grandeur d'âme à plus d'un titre : il fallait honorer celui qui avait écrit ces sentences que l'on raffole quand on ne lit pas et que l'on reprend à son compte quand on a quelque velléité de noblesse d'âme. Celui qui avait écrit : «l'homme ne devient homme que dans la poursuite de sa part la plus haute» pouvait bien honorer la ville qui l'honore. – Notons que c'est précisément à cause de tout cela que le monde universitaire écarte généralement Malraux.

En 1961, André Malraux inaugurait la Maison de la culture du Havre dans les bâtiments mêmes de l'ancien Musée des beaux-arts de la ville, soit dans ce qui deviendra le Musée Malraux en 1999 puis le MuMa dès 2011. L'histoire de ce bâtiment ressemble un peu à celle des Maisons de la culture, projet phare du ministère des Affaires culturelles dès 1961. Selon le ministre, les maisons de la culture devaient permettre à «n'importe quel enfant de seize ans, si pauvre soit-il, [d’]avoir un véritable contact avec son patrimoine national et avec la gloire de l’esprit de l’humanité».

Entravées par les résistances administratives et dénaturées par des conceptions tout autres de la culture, la dizaine de Maisons de la culture ouvertes au temps de Malraux (il en aurait voulu huit ou neuf fois plus) ont fait défaut à leur mission initialement définie. La contestation politique et culturelle, précisément, y a trouvé refuge et s'est occupée bien plus de transformer leur usage que de permettre le contact direct avec les plus hautes créations de l'art mondial. Ajoutez à cela le délabrement progressif des bâtiments et vous aurez l'image d'un échec. Si elle montre des objets d'art, des pièces de théâtre ou des films, la soixantaine d'«espaces» ou de «salles André Malraux» sert aussi aux rassemblements politiques ou aux rencontres de chômeurs, aux concerts de pop-rock ou aux jeux de loto, aux fêtes d'étudiants ou aux thés dansants. Comme dans le cas des écoles, le nom de Malraux semble lié malgré lui à tant de «centres culturels» (l'adresse de beaucoup est aussi une «rue André Malraux»), bien plus éloignés de sa conception de la culture que les «Louvres décentralisés» qui attirent tant de monde. Les «centres culturels André Malraux» ont actuellement au moins le mérite de maintenir, contre tous les professionnels de la contestation et les inconditionnels de la critique haineuse, l'association du nom du ministre et de celui de la culture.

Source des deux citations :

  • «l’homme ne devient homme…» : André Malraux, Ecrits sur l’art, t. I, Pléiade, p. 899-900. C’est l’avant-dernier paragraphe des Voix du silence.
  • «n’importe quel enfant de seize ans…» : Malraux : «Intervention à l’Assemblée nationale, 17 novembre 1959». Malraux, présentant le budget des Affaires culturelles, évoque la création des Maisons de la culture. On trouve ce texte sur notre site : <https://malraux.org/ 19591117-2/>.

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Liste des institutions et lieux portant le nom d'André Malraux

Comme notre inventaire est loin d'être exhaustif, nous sollicitons l'aide de nos internautes pour le compléter.  SVP envoyez vos courriels à < info @  malraux.org >. Merci d'avance.

Pour consulter le résultat de l’enquête : télécharger la liste.


Le rond-point «André Malraux» à Pontarlier.

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Le MuMa au Havre.

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Centre André Malaux à Vendoeuvre-lès-Nancy

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Espace André Malraux
à Joué-lès-Tours

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Espace André Malraux à Chambéry

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Lycée André Malraux à Montereau

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Place André Malraux à Paris

Presqu’île André Malraux à Strabourg : la médiathèque André Malraux

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 Le parc André Marlaux à Nanterre


Texte mis en ligne le 13 juin 2016

© www.malraux.org

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