Paul Bourcier : «Le voyage en Casamance» (1967)

Paul Bourcier a accompagné Malraux en Casamance en 1966. Il donnera ce texte au Nouvel Observateur quand Malraux publiera les Antimémoires.
  

Sebeth, je l'accorde, est un personnage coloré : une petite femme grasse et plus que mûre, au visage à la fois naïf et roublard, sans rien de tragique ni d'inspiré, du moins pour qui restait à la croûte des choses. Malraux l'a vue «dans le couloir aux piliers de bois de son palais de terre et de chaume.» (Admirons au passage la royale cadence de la phrase, où la voyelle fermée de la clausule prolonge deux sonorités ouvertes.) En réalité, ce palais n'était qu'une case ronde aux murs de boue séchée, au toit d'herbes craquantes que soutenaient des piquets grêles et gauchis. A l'intérieur, un ameublement (si je puis dire) sordide autant que disparate : une poêle à frire graisseuse voisinait au mur avec une cuvette d'émail bleu généreusement écaillé et des bouteilles jadis d'eau de Javel.

L'essentiel du récit de Malraux, c'est sa vision de l'arbre fétiche : «Le sentiment de sacrifice s'accordait plus puissamment pour moi à cette colonne de majesté qu'il ne s'était accordé à aucun temple», écrit-il notamment.

Cet arbre, cette «colonne de majesté», existe bien. Il appartient à une espèce fort répandue dans la forêt casamançaise. On en trouve quelques-uns plantés dans des avenues, à Dakar. C'est un fromager (ou faux kapokier). Arbre farouche, impérieux, dont le tronc est formé, à sa basse, comme de draperies cassées à angle aigu, rugueuses et grises, pareilles à une peau d'éléphant. Arbre magnifique, certes, qui suggère bien, ainsi que le dit Malraux, «un rythme géologique» et lui propose l'admirable finale du voyage : «Du grand arbre, la neige soyeuse du kapok tombait solennellement et s'accrochait à la toge verte [de la reine] sous laquelle tintaient ses colliers dans le silence.» (Il est curieux de retrouver ici, dans cette conclusion, le procédé qui a commandé la construction du récit lui-même et qui est systématique chez Chateaubriand : l'image qui se dresse à la fin du paragraphe comme une statue au fond de l'allée d'un parc.) Un seul malheur : c'est que le fétiche de Sebeth, ce n'était pas l'arbre ; mais bien plutôt, «dans l'encoignure de deux de ces murs de troncs», dans cette chapelle triangulaire, fichés en terre, quelques bouts de bois grisâtres, informes, certains souillés de sang caillé, le plus haut (une trentaine de centimètres) orné d'une plume blanche et poulet.

Paul Bourcier, «Le voyage en Casamance», Les Nouvelles littéraires, n° 2090, 21 septembre 1967, p. 11.

 

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fromager

 

Fromager ou faux kapokier (Sénégal)