D/1964.11.07 — André Malraux : «Intervention à l’Assemblée nationale»

André Malraux : «[Intervention à l'Assemblée nationale, séance du 7 novembre 1964]», intervention au cours de la discussion de la 2partie du projet de loi de finances pour 1965. Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Assemblée nationale [Paris], n° 94 AN, 8 novembre 1964, p. 4991-4991, 5000, 5003-5005.


 

 

André Malraux :

Intervention à l'Assemblée nationale – 2e séance du 7 novembre 1964

(Les expositions internationales, les activités du Ministère, les Maisons de la culture, la France «générosité du monde»)

 

         Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je suis beaucoup plus d'accord avec MM. les rapporteurs qu'ils ne le pensent et je vais l'expliquer tout à l'heure.

         On m'a demandé d'écourter les débats. J'y suis tout à fait disposé. Dans ces conditions, le plus raisonnable serait, me semble-t-il, de procéder comme nous l'avons fait l'année dernière. Je ne répondrai donc pas à la tribune aux questions de détail, me réservant de reprendre avec chacun des rapporteurs les points litigieux afin de les régler avec eux ou en commission. En revanche, je répondrai à la tribune aux questions d'un intérêt général ou qui présentent un caractère politique.

         Je tiens à rendre hommage, tout d'abord, à deux personnes qui nous ont cette année particulièrement aidés : M. le président Jean-Paul Palewski, car la question des secteurs sauvegardés avait l'importance que vous savez, et M. le préfet Haas-Picard.

         Nous avons rencontré auprès de la ville de Paris une aide considérable à laquelle vous serez, je crois, aussi sensibles que moi. Vous allez voir pourquoi.

         Nous avons entendu des critiques. Nous avons surtout lu des rapports exceptionnellement complets. Pour les mêmes raisons que moi, MM. les rapporteurs ont, en quelque sorte, résumé leur rapport oral; mais ceux d'entre vous qui se reporteront aux rapports écrits se trouveront en face d'exposés suffisamment complets pour que je n'aie pas à y revenir.

         Dans l'ordre des critiques de détail, je veux répondre sur deux points.

         On nous a dit : «Mais il n'y a plus d’expositions !». Mesdames, Messieurs, permettez-moi de vous dire qu'il y a des gens qui trouvent que les tableaux français sortent trop quand ceux qui ne devraient pas sortir ne sortent plus. (Sourires.)

         Nous avons, depuis quelques années, changé beaucoup de choses en matière d’expositions : alors qu'en 1957 les œuvres françaises à l'étranger et étrangères en France avaient été vues par un peu plus de 600.000 personnes, elles ont été vues, cette année, par 7 millions de personnes. Je ne trouve pas qu'il y ait là une diminution marquée.

         Par ailleurs, il est peut-être fâcheux d'envoyer la Vénus de Milo à Tokyo, mais, après tout, si nous avons eu une médaille d'or le dernier jour des Jeux olympiques, nous avons sûrement eu une médaille de diamant pendant quatre mois, parce qu'il y a tout de même eu 4 millions de Japonais pour aller voir le drapeau français placé derrière cette statue. (Applaudissements sur les bancs de l'U.N.R.-U.D.T.)

         On nous a dit aussi qu'il ne fallait pas que «les expositions de Paris deviennent le terminus des expositions mondiales». Bien sûr, c'est tout à fait juste. Mais, Mesdames, Messieurs, les expositions mondiales existent aujourd'hui. Nous ne pouvons pas toujours être ceux qui commencent.

         Quand commençons-nous ? Lorsque les expositions sont faites par des savants français.

         On nous dit : «Nous avons donné l'exposition Copte en dernier et les Russes avaient retiré leurs œuvres». Mais nous avons donné l'exposition iranienne en premier et nous avons retiré nos œuvres. C'est inévitable.

         L'exposition iranienne était le fruit de trente ans de travaux effectués par des savants français.

         Son catalogue a été établi dans tous les pays du monde par des savants français. Cette exposition a été à l'honneur de la France.

         Lorsqu'il s’agit d'une exposition qui n'est pas française, allons-nous l'écarter ? Allons-nous décider au contraire que, française ou non, une exposition qui rassemble les chefs-d'œuvre de l'Inde ou du Mexique doit être là pour que tous les Français qui aiment l'art la connaissent ? Par conséquent, nous acceptons toutes les expositions mondiales et nous ne cessons de les accepter que lorsque nous n'avons plus de place. Et pourquoi les acceptons-nous ? Parce que ce sont les plus grandes expositions du monde.

         Nous avons eu l'exposition iranienne en premier. Nous aurons l'exposition irakienne. L’Irak, c'est d'abord Sumer. Le plus grand sumérologue du monde, un Français, André Parrot, sera probablement le commissaire général de l'exposition. C'est lui qui, en définitive, fera le catalogue parce que personne au monde n'est capable de faire. Cela explique pourquoi l'exposition n'a pas encore eu lieu malgré douze ans de découvertes. Là encore, des savants français sont à l'honneur.

         Il est bon, il est excellent qu'on nous demande de donner à Paris un rang privilégié. Mais nous ne devons le faire que lorsque cela paraît légitime.

         Quant aux critiques de fond, elles se résument en une phrase : il n'y a pas assez d’argent. Bon ! Mais cette assertion est tellement évidente et elle déborde tant le cadre propre aux affaires culturelles que je vais me placer, si vous le voulez bien, sur un plan plus fondamental.

         En définitive, qu'est-ce qu'on a appelé le gaullisme ? Essentiellement, deux choses. D'une part, la confiance absolue dans la France; d'autre part, l'idée que l'Etat devait être reconstitué pour être le moyen de cette confiance.

         Il est absolument indispensable que, dans chacun des domaines essentiels de notre histoire, l'action de l'Etat devienne ce qu'elle doit être.

         Depuis des siècles, l'idée d'Etat a été une idée fondamentale. Mais la France s'en était d'autant plus écartée qu'elle la croyait allemande. Il ne faut pas oublier, en effet, que le plus grand théoricien de l'Etat fut Hegel.

         Ce n'est pas le général de Gaulle qui a dit : «Il n'y a pas une seule révolution qui n'ait renforcé le pouvoir de l'Etat». C'est Lénine.

         Par conséquent, il faut que nous comprenions bien que si la volonté d'Etat est absolument fondamentale, l'adaptation d'un appareil donné à des conditions de vie qui, dans le monde, changent sous nos yeux, est non moins nécessaire. Si vous comparez les temps de votre adolescence à ceux d'aujourd'hui, vous ne pouvez que reconnaître que vous assistez à la transformation la plus totale que le monde ait jamais vue.

 

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