D/1935.12.23 — André Malraux : «Pour Thaelmann [et Ludwig Renn]».

«[Pour Thaelmann]», discours prononcé au cours d'un meeting organisé par le comité Thaelmann[1], le 23 décembre 1935 à la salle Wagram, à l'occasion du 2e anniversaire de l'acquittement de Dimitrov. Dans Pour Thaelmann. 23 décembre 1935, discours de Jean de Moro-Giafferi, d'André Gide, d'André Malraux, du pasteur Nick, Paris, éd. Universelles, s.d., [1936], p. 16-18.


 

André Malraux

 

«Pour Thaelmann». Discours d'André Malraux

 

Camarades,

Ceux d'entre vous qui ont entendu Thaelmann, lorsqu'il est venu parler à Bullier, se souviennent sans doute de ses paroles : «Je suis avec la France révolutionnaire qui m'écoute; et sachez bien que je resterai avec elle.»

Je crois que nous pouvons nous rendre cette justice que cette France-là, depuis bientôt deux ans, n'a pas cessé non plus d'être avec lui.

… On nous dit inlassablement : à quoi servent des réunions comme celle-ci ? Inlassablement, nous répondrons : c'est la présence des foules volontaires qui permet de vivre à ceux qui sont en prison pour elles. Le peuple sait que si une action comme celle du Comité de libération était vaine, le capitalisme ne déploierait pas tant de forces pour sa propagande, et que nous faisons ici avec notre volonté ce que nos ennemis, partout, font avec leur argent.

Je n'aurais pas pris la parole ce soir, si je ne voulais ajouter un nom à tout ce martyrologe qui a été cité devant vous, un nom que vous ne connaissez pas encore assez et que je voudrais vous faire connaître mieux : celui de Ludwig Renn.

Il doit être libéré cette année; et nous entendons faire tout ce que nous pouvons pour que cette libération soit effective.

Renn est un des plus grands écrivains allemands. Il était officier. Sa participation au mouvement communiste était tenue pour particulièrement dangereuse en raison de sa connaissance des organisations de combat.

Inutile d'insister ici sur ces rapports du prolétariat et des intellectuels : ceux qui combattent côte à côte n'ont pas à discuter pourquoi ils sont ensemble. Je tiens pourtant à dire que Renn était avec vous, non pas parce qu'il voyait en vous l'avenir, mais parce qu'il est de ces quelques intellectuels qui entendent redonner son sens profond au mot vilipendé de dignité.

Camarades, que la chance vous garde des intellectuels qui ne viendront à vous qu'à la veille de votre triomphe…

Nous sommes avec lui parce qu'il est noble et qu'il a choisi d'être communiste; parce qu'il était officier et qu'il a choisi d'écrire contre la guerre; parce qu'il était écrivain et que pouvant s'enfuir il a choisi de porter le poids singulièrement lourd de tout ce qu'il avait dit et de tout ce qu'il avait pensé, qu'à l'heure où il attendait sa condamnation, il a dit :

«J'appartiens au parti communiste et lui appartiendrai jusqu'à ma mort. Vous êtes aujourd'hui victorieux et vous nous frappez. C'est dans l'ordre. Mais sachez bien que je prends en ce moment la pleine responsabilité de ma pensée et que le jour où l'on me ferait dire autre chose que ce que je dis maintenant, c'est que j'aurai cessé d'être homme.»

Camarades, les jugements à huis clos demandent deux fois plus de courage. Maintenant est retombé sur Renn le grand silence fasciste. Cet homme qui disait qu'il venait à nous parce qu'il voulait la fraternité virile, cette fraternité qu'il avait cherchée sans la trouver dans la guerre, qu'il attendait de la révolte et qu'il eût trouvée dans la Révolution, cet homme disait : «Si un jour, je suis condamné puissent ceux pour qui j'ai combattu être avec moi… » Ce soir, dans cette salle où entre mes phrases nous entendons le bruit des autos, dans cette atmosphère de veille de fête, dans ce lieu où pas un d'entre vous ne peut bouger sans rencontrer le coude d'un camarade, dans cette salle si pleine de présences fraternelles et de lumières, puissent les pauvres paroles humaines dépasser ce que je veux dire lorsque je dis en votre nom à Thaelmann, à Renn et à tous nos emprisonnés : «Camarades, nous sommes avec vous dans votre solitude et dans votre obscurité…»

Renn, vous avez dit : «tant que je serai un homme»; vous avez été un Homme, cette foule est ici pour l'attester. Pas seulement celle qui nous entoure; une autre, inconnue, que depuis le dernier soviet des Asturies jusqu'au premier soviet chinois monte autour des prisons en silence la garde que vous attendiez d'elle. Une foule qui entend faire de son silence action, de ses martyrs des chefs, et pour qui votre place est aux côtés de Dimitrov, au Komintern.

 

[1]     Comité que Malraux préside. Ernst Thaelmann, secrétaire général du parti communiste allemand, et Georges Dimitrov, secrétaire de la IIIe Internationale, ont été arrêtés par la Gestapo après l'incendie du Reichstag. Bien qu'acquitté en décembre 1933 par la Cour suprême du Reich, Dimitrov est resté en prison. Malraux participe activement à la campagne destinée à obtenir la libération des deux hommes et se rend notamment à Berlin avec Gide en janvier 1934, décidé de rencontrer Hitler.

 

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Ludwig Renn