D/1948.04.17 — André Malraux : «Liberté et volonté», «Le Rassemblement», 1948

D/1948.04.17 — André Malraux, «Liberté et volonté», discours prononcé aux assises nationales du Rassemblement du peuple français, le 17 avril 1948, à Marseille. Le Rassemblement [Paris], n° 53, 24 avril 1948, p. 2 et 3.


 

 

André Malraux

Liberté et volonté

 

 

Extrait :

En somme, ce que nous avons tenté, ça été de rendre une âme à la France. Si ce mot est redevenu ce qu'il est, c'est peut-être pour avoir été repris par quelqu'un que vous connaissez bien. Et qui donc a dit : «Français, souvenez-vous de la France ?»

Ce qui est le suprême honneur de la France, et ce qui fut dit par ce Rassemblement dès le premier jour, c'est que notre conscience nationale est le contraire d'un chauvinisme, que la mission de ce pays depuis des siècles, est de ne jamais se replier sur lui-même… La plus grande France peut être, pour les Français, celle de Louis XIV, mais pour le monde, c'est celle qui s'appelle chrétienté, celle qui s'appelle Révolution. A vous qui fûtes si longtemps la conscience et l'espoir du monde, le Rassemblement dit aujourd'hui : «Nous reprenons ce que fut le destin de la France et, comme jadis, nous ne le limitons pas à la France». Notre mission, c'est que l'Europe se reconnaisse une fois de plus, comme elle s'est si souvent reconnue dans nos yeux fraternels, même s'ils sont en ce moment des yeux aveugles.

Nous sommes maintenant très nombreux, mais n'oubliez pas que le destin du monde s'est toujours joué entre les mains d'un petit nombre d'hommes.

Ne vous y méprenez pas. Nous ne sommes ce que nous sommes que par la volonté. Par-delà toute politique. Quelque chose d'essentiel domine, à travers les siècles, le glissement souterrain du courage. J'ai vu les 30’000 hommes de Tchang Kaï-chek conquérir – parce qu'ils étaient 30.000 volontaires – cette Chine immense qui leur opposait 400.000 mercenaires par une inlassable bataille qui dura de Canton à Pékin; j'ai vu en Espagne la première brigade internationale (et j'ai dit : par-delà toute politique). Elle était formée en majorité de Français… j'ai entendu la première charge des Maures battue à travers la brume et le premier commandement d'un officier polonais, en français : «Vous qui êtes ici pour la République et pour la liberté, en avant !» Franco fut arrêté pour des mois. Et j'ai vu, dans quelque chose d'autre qui s'appelait la Résistance française, des hommes que vous avez tous connus, avec leurs moyens misérables, arriver en face des Allemands avec des armes qu'ils avaient été obligés de prendre à l'armée allemande, car beaucoup de nos unités n'avaient pas reçu d'armes, parce qu'il n'y en avait pas. C'est un des plus beaux souvenirs des musées obscurs de telles petites villes d'Alsace, que ces mitrailleuses allemandes, dont l'étiquette porte : «Armes rendues à la paix par la brigade Alsace-Lorraine.»

Et j'ai vu ce service d'ordre dont les pauvres idiots disent tant de mal, avec à sa tête un homme que beaucoup d'entre vous connaissent, qui s'appelle Ponchardier, et qui est aimé de tous ceux qui travaillent sous ses ordres, parce qu'il y a un certain souvenir de la prison d'Amiens, qui n'a pas été reprise avec de très grands moyens…

Et je voudrais vous dire, à vous tous qui êtes ici, ce que j'ai été amené à dire aux hommes de Ponchardier : «On nous a parlé souvent de quelque chose qui s'appelait la chevalerie; ce ne sont pas des casques, ce ne sont pas des cuirasses; c'est l'ensemble des hommes qui savent ce qu'ils veulent et qui sacrifient leur vie à leur volonté». Ô visages français qui m'entourez et sur lesquels je revois ces visages gothiques à côté de moi en captivité, sur lesquels je revois les simples visages des chasseurs de Verdun, ces visages qui sont ceux de la France – que les journalistes staliniens «rigolent» ! – je vous appelle à la chevalerie ! Un immense honneur vous est fait : ce grand corps de la France qui tâtonne dans l'ombre et que regarde tâtonner le monde si souvent fasciné par lui, il vous est donné de le relever de vos mains périssables. Et nous n'avons pas, en face de l'absurdité de tel combat, aujourd'hui ou demain, à nous décourager ni à nous plaindre. Nous avons à dire : si une génération parmi d'autres, si une génération de volontaires a reçu l'honneur de reprendre entre ses mains la France, qu'elle ne dise pas : hélas ! Qu'elle dise : merci.

La France est semblable à ces grandes statues de fer enfouies après le passage des conquérants antiques, et que soudain, quand passent les cataclysmes, déterre d'un coup la foudre. Celle-ci a été tragiquement déterrée. On nous la donne. Et nous savons ce qu'ensuite nous en ferons.

 

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