D/1959.05.15 — André Malraux : «Allocution prononcée au festival de Cannes» (1959)

D/1959.05.15 — André Malraux : «Allocution prononcée par M. André Malraux, le 15 mai [1959] au festival de Cannes», in Discours, allocutions, conférences de presse de M. André Malraux, ministre d'Etat chargé des Affaires culturelles, 1958-1969, s.l.n.d. [Paris, ministère des Affaires culturelles, 1970], n.p. [2 p.]


 

André Malraux

 

Allocution prononcée le 15 mai 1959 au Festival de Cannes

 

Puisque, pour la première fois, le ministre chargé du Cinéma se trouve être l'un des vôtres, qu'il lui soit permis de vous remercier d'abord selon les devoirs du ministre et de vous parler ensuite selon les plaisirs du complice.

Je remercie tous ceux qui ont contribué au succès de ce Festival, en particulier ses organisateurs et les membres des délégations étrangères.

On ne saurait trop insister sur son action, car du Japon aux Etats-Unis, comme naguère en Italie, et peut-être cette année en France, il a révélé des tendances qui, sans lui, n'auraient sans doute été acceptées que beaucoup plus tard.

C'est à vous qu'il appartient de donner au talent son action la plus rapide, comme c'est aux Etats-Unis de lui donner maintenant son action la plus durable.

Avant la fin de l'année, la Cinémathèque française sera devenue la Comédie-Française du cinéma. Et avant trois ans dans tous nos départements, chaque Maison de la culture possèdera son ciné-club.

Que chaque festival continue à défendre le cinéma en tant qu'art, en tant que création. Ce sont des choix comme les vôtres qui légitiment l'aide des Etats, dont la justification est de rendre plus faciles les conquêtes de votre liberté.

L'importance du cinéma, c'est qu'il est le premier art mondial. La puissance de l'image est victorieuse des différences de langue. Et au service du Russe Tolstoï, une actrice suédoise dirigée par un metteur en scène américain, bouleverse l'Occident, l'Inde ou le Japon.

Que la puissance convaincante des images ne nous trompe pas. Elle ne tient nullement, vous le savez tous, à ce que le cinéma imite la réalité, mais à ce qu'il est le plus puissant interprète du monde irréel; de ce qui, depuis toujours, paraît ressembler au réel, mais à quoi le réel ne ressemble pas.

Ça été le monde du roman et plus encore celui de la peinture. Mais si le roman s'affaiblit d'année en année, si la peinture, figurative ou non, a renoncé à la fiction, c'est peut-être d'abord parce qu'aucune fiction n'est rivale de celle du cinéma.

Ce que le cinéma nous révèle chaque année davantage, c'est que les hommes, malgré tout ce qui les sépare, malgré les plus graves conflits, communient dans quelques rêves fondamentaux.

Par ce que le cinéma exprime, et aussi par ce qu'il n'exprime pas. Je m'explique : lorsque j'étais des vôtres… (Ici, le projet pour la fin d'Anna Karénine).

Et ce ciel-là se trouve dans tout film de talent, même dans ceux où on ne voit jamais.

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cannes1959

En 1959 : Jean-Luc Godard, Jean Seberg sur le tournage de Breathless en 1959

 

cannes59 

Festival de Cannes 1959 : Jean-Pierre Léaud, Jean Cocteau et François Truffaut