D/1962.10.26 — André Malraux : «Intervention à l’Assemblée nationale»

André Malraux, «[Intervention à l'Assemblée nationale, séance du 26 octobre 1961]», intervention au cours de la discussion du projet de loi de finances pour 1962. Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Assemblée nationale [Paris], n° 74 AN, 27 octobre 1961, p. 3144-3149.


 

André Malraux

 

Intervention à l'Assemblée nationale – 2e séance du 26 octobre 1961

(Dépenses du ministère, cinémas, musique, bourses, expositions, théâtre, bilan

 


 

Extrait 

L'heure passe.

Je veux tout de même dire, avant de terminer, à mes différents interlocuteurs, que je ne suis vraiment pas d'accord avec eux sur la compagnie Renaud-Barrault.

II n'est pas du tout exact qu'on ait chassé Labiche du Théâtre-Français. Ce Labiche est extrêmement opiniâtre. (Sourires.) J'ai expliqué à cette tribune, à plusieurs reprises, que je ne l'avais jamais chassé; il revient à travers le microphone.

Je jure que nous n'avons pas chassé Labiche de la Comédie-Française ! (Rires.)

Bien.

Il y a Feydeau. Mais, enfin, 35 Occupe-toi d'Amélie sur 331 représentations, cela ne me paraît pas dépasser les normes d'une bonne gaîté française.

Par conséquent, n'exagérons pas et, pour le reste, dire trois fois hélas ! en raison de la présence au Théâtre de France de cette compagnie ! Non. Alors, je ne m'aventurerai pas dans un exposé qui nous mènerait trop loin. Je dirai à tous ceux qui ne sont pas de mon avis : vous tenez la présence de cette compagnie au Théâtre de France pour une erreur, permettez-moi de la tenir pour un honneur.

Il me reste à répondre rapidement aux questions posées par les orateurs successifs.

Monsieur Hostache, la solution de l'affaire qui vous concerne, celle du chant à Aix, est liée à la réorganisation des festivals. Quelle que soit la forme que prendra l'aide apportée à Aix, je souhaite qu'elle soit à la mesure de l'éclat de cette ville dans le domaine de l'art lyrique. Si je dis : je souhaite, c'est que j'entends faire le nécessaire dans la mesure où cela dépend de moi. Sur les questions posées par M. Fréville, je n'ai presque rien à ajouter parce que j'aurais trop de choses à dire. Je suis d'accord, exactement, avec tout ce qu'il a dit.

M. Fréville a posé une question relative aux rapports avec le haut-commissariat à la jeunesse. Le protocole qui réglait provisoirement ces rapports expire en 1961. Il conviendrait de statuer définitivement cette année. Sur le fond, Monsieur Fréville, vous avez dit : tout est une question de crédits. Et, naturellement, c'est vrai. Pourtant, ce que nous savons tous les deux, c'est qu'il y a aussi, de temps en temps, des choses qui se font avec rien. Cette année, c'est aussi ce qui se passera. Certaines choses se feront avec des crédits; d'autres se feront avec rien. Mais, là aussi…

Les projets proposés ici par M. Sallenave sont à mes yeux du plus grand intérêt.

J'ai pensé, à plusieurs reprises, à une loi de programme d'action culturelle. Je n'ai pas rencontré, il faut le dire, un accueil extrêmement passionné mais je ne me suis heurté à aucune hostilité et, si l'Assemblée s'intéresse à la question, j'ai le sentiment qu'elle pourrait faire là quelque chose de considérable car, ne nous y méprenons pas, le IVe Plan va être mis en vigueur et les sommes dont il s'agirait ne sont en rien des sommes astronomiques. Il va de soi que nous disposons de sommes très faibles, il va de soi qu'il faut des sommes plus considérables, mais enfin il ne s'agit pas du tout de sommes excédant un effort susceptible d'être demandé, par exemple, à une loi de programme.

Donc, je fais tout à fait mienne la suggestion de M. Sallenave et je le remercie de l'avoir faite.

D'autre part, sur le problème de la culture lui-même, je n'ajouterai qu'un mot à ce que j'ai dit tout à l'heure.

L'art ne sera bientôt plus un problème de luxe. Ce n'est même plus un problème politique. Il ne s'agit plus de faire que ceux qui sont les plus pauvres puissent aussi connaître l'art. L'art est en train de devenir un immense problème sociologique. Le fait mystérieux, c'est que, très simplement, il y a cent ans, même pour un très grand artiste, un objet d'art, un tableau c'était quelque chose qu'on possédait. Si on n'était pas assez riche, on allait au Louvre, mais c'était bien dommage car, c'était la collectivité alors qui possédait et c'était tout de même un peu une tare. Mais, à l'heure actuelle, c'est absolument fini. En définitive, la moitié des gens qui aiment la peinture possèdent extrêmement peu de tableaux. Ils vont dans les musées ou, tout bonnement, ils vont voir les vitrines des marchands de tableaux. La possession est donc en train de devenir viagère. Considérez les collections américaines. Il n'y en avait pas une, l'année dernière, qui, après deux générations, n'ait pas été remise à un musée. C'est dire que, à l'heure actuelle, la notion de possession de l'objet d'art est en train de disparaître.

Je n'ai pas besoin de vous dire que cela va extrêmement loin parce que l'art gothique ou l'art roman étaient des arts que personne ne possédait. Ce qui est en train de se produire de nouveau, c'est un art qu'on ne possède pas, alors que ce qu'on a appelé «art», pendant tout le temps du luxe, c'était le tableau qu'on mettait à son mur.

Les conséquences sont considérables, trop considérables pour que j'insiste.

 

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an36