D/1962.10.30 — André Malraux : «Discours prononcé au Palais de Chaillot le 30 octobre 1962»

André Malraux, «Discours prononcé au palais de Chaillot, le 30 octobre 1962, par Monsieur André Malraux au nom de l'association “Pour la Ve République”», discours prononcé avant le référendum portant sur l'élection du président de la République au suffrage universel. Paris, ministère des Affaires culturelles, s.d. [1971], [5 p.].


 

André Malraux

 

Discours prononcé au Palais de Chaillot le 30 octobre 1962

au nom de l'Association «Pour la Ve République»

(IVe et Ve Républiques, réfutation des critiques adressé à de Gaulle)

 

 

Le 12 septembre, les Français avaient appris qu'ils allaient être consultés sur l'élection du Président de la République au suffrage universel. Ils l'avaient appris, avec un intérêt un peu distrait : certes, il s'agissait du Président de la République, d'eux-mêmes, et la consultation était la conséquence d'un attentat; mais le suffrage universel a peu d'adversaires avoués, et la réforme proposée ne devait pas être appliquée avant plusieurs années.

Le 4 octobre, les Français apprenaient que le Sénat (dont le Président venait d'accuser de forfaiture le Gouvernement et, par un savant ricochet, le général de Gaulle)  faisait une ovation à ce Président, au nom de la République menacée. Il y a longtemps que les Français savent que tout ce qui est exagéré est sans importance. Mais lors de la défaite des hommes des barricades d'Alger, le Sénat ne s'était pas levé. Lors de l'arrestation du général Salan, le Sénat ne s'était pas levé. Ni pour la paix en Algérie. Pour la réconciliation franco-allemande – évènement capital de l'histoire de l'Occident – le Sénat ne s'était pas levé davantage, et ses applaudissements du 4 octobre apportaient leur dérisoire écho à la lointaine clameur par laquelle l'Allemagne acclamait un Français pour la première fois.

En même temps, il advenait aux anciens partis une surprenante aventure, ils ne s'étaient accordés ni pour la paix en Algérie, ni pour la réconciliation franco-allemande. Ils ne s'étaient pas même unis devant la menace immédiate du putsch d'Alger. Mais ils s'unissaient devant la terrible menace qui pesait soudain sur la République – vraisemblablement à trois ans d'échéance…

Le moins que l'on puisse dire, c'est que tout cela rendait les Français perplexes.

La campagne pour le référendum n'a pas affaibli cette perplexité.

De toute évidence, ile ne s'agit pas de ce dont on parle.

Alors, de quoi ?

Pour la plupart des Français, la question juridique posée par ce qu'on appelle un peu comiquement le viol de la Constitution, est sans grand intérêt. Le viol de la Constitution, à leurs yeux, c'est un coup d'Etat, et non une consultation du peuple. Ils sont sensibles au droit; mais pour la plupart d'entre eux, cette Constitution est un instrument donné au Président de la République – et nommément au général de Gaulle – pour assurer le relèvement de la France. Le pays ne souhaite donc point que cet instrument soit intangible, il souhaite qu'il soit efficace. Il tient le référendum pour légitime, parce qu'à ses yeux la Constitution est au service de la France, et non la France au service de la Constitution. C'est pourquoi il est prêt à modifier celle-ci – à la condition que, votée par lui, elle soit amendée par lui.

D'autant plus qu'il pense que beaucoup de ceux qui tiennent cette Constitution pour intangible, en accepteraient fort bien le changement, à condition qu'elle fût changée par eux.

Oublions ceux qui ne tiennent pour légitime que les changements profitables. Je n'entends point polémiser ce soir, et si j'ai rappelé l'attitude des Assemblées, c'est pour marquer fortement sa signification historique. Retenons seulement les parlementaires qui défendent, avec une dignité et une sincérité manifestes, la conviction que les décisions capitales appartiennent au Parlement. J'ai entendu l'un d'entre eux, et non des moindres, dire ce mois-ci à la tribune de l'Assemblée nationale : «La France est ici, et non ailleurs». Cette phrase a la résonnance de destin à laquelle nous ne nous méprenons pas, la résonnance commune aux grandes prophéties et aux erreurs tragiques. Mais si en 1940, en 1958 la France avait été seulement là, et non ailleurs, c'eût peut-être été assez mauvais pour elle…

Il est grand temps de comprendre que la Ve République n'est pas la IVe plus le général de Gaulle. C'est cette croyance singulière qui fait crier au viol lorsque la Constitution est modifiée; à l'usurpation, lorsque le peuple est consulté; au pouvoir personnel, chaque fois qu'est prise une décision d'importance nationale. Si tout référendum approuve le pouvoir qui l'a suscité, pourquoi quatorze départements viennent-ils de voter non ? Si la France subit une dictature, d'où vient que l'on peut nous en accuser tous les matins ?

 

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