D/1965.10.14 — André Malraux : «Intervention à l’Assemblée nationale»

André Malraux, «[Intervention à l'Assemblée nationale, 1re séance du 14 octobre 1965]», intervention au cours de la discussion de la 2e partie du projet de loi de finances pour 1966. Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Assemblée nationale [Paris], n° 78 AN, 15 octobre 1968, p. 3646-3649, 3657-3658.


 

 

André Malraux :

Interventions à l'Assemblée nationale – séance du 14 octobre 1965

(Les musées de province, financement du cinéma, Maisons de la culture, musique)

 

            Je remercie M. le Président de la commission des finances, ainsi que MM. les rapporteurs, à la fois du soutien qu'ils m'apportent, des encouragements qu'ils me prodiguent et de l'optimisme dont ils ont fait preuve.

            Je souhaite certainement ajouter à mes «titres de gloire» une grosse enveloppe pour les affaires culturelles, mais il n'y a guère que vingt-quatre ministres qui soient dans le même état d'esprit. (Sourires.) En tout cas, si j'obtiens satisfaction, ce sera certainement en partie grâce à l'aide qui m'aura été apportée par cette Assemblée, très particulièrement cette année.

            Etablir un bilan d'ensemble est inutile. Il a été très bien fait par les rapporteurs pour avis et par le rapporteur de la commission des finances, chacun dans son domaine. Par conséquent, je ne retiendrai pas votre attention sur un ensemble de quatre-vingts ou quatre-vingt-cinq questions. Au surplus, chacun connaît ce qui a été fait d'important, puisque mon ministère a la chance de travailler en changeant la couleur des monuments et en ouvrant des Maisons de la culture. (Sourires.)

            Quant à nos projets importants, je ne pourrai malheureusement que les exposer en commission avant la fin de l'année. En effet, les grands projets d’architecture concernent Paris et, par conséquent, la ville est d'abord intéressée.

            Quant à la réforme sur le cinéma, elle doit être discutée en comité interministériel au cours de cette quinzaine. La première séance de travail a lieu précisément cet après-midi. Je répondrai néanmoins sur cette question, mais je ne pourrai pas faire état du caractère définitif d'une réforme qui n'est pas encore acceptée par le Gouvernement.

            Il ne me reste donc que l'entreprise la plus importante historiquement, celle des Maisons de la culture, dont je vous entretiendrai à la fin de cet exposé.

            Sur l'ensemble des questions posées dans les rapports, je vous propose, en accord avec MM. les présidents des commissions, de nous donner rendez-vous en commission. Répondre à toutes les questions posées est tout à fait exclu car je n'aurais pas terminé à treize heures et ceux qui doivent intervenir ne le pourraient pas. Ce ne serait pas sérieux. Je me bornerai, en séance publique, à répondre sur les points capitaux qui revêtent de l’importance pour l'objet du débat, je veux dire le vote.

            Considérons tout d'abord le problème des forêts. Monsieur le Président de la commission, vous savez combien je suis d'accord avec vous; vous connaissez aussi les obstacles, très particuliers, que nous rencontrons dans la région parisienne. Néanmoins, vous avez posé un problème de principe sur lequel je suis absolument d'accord avec vous. Non, les forêts ne sont pas destinées à être détruites ou à être loties. Elles sont parties d'une certaine réalité nationale et elles doivent être protégées comme telles. Ce ne sera pas facile car ce n'est pas seulement le ministère des Affaires culturelles qui en a la charge; mais il est dans l'esprit du Gouvernement d’envisager la question comme vous l'avez posée.

            Je suis parfaitement d'accord sur la perspective générale du rapport de la commission des finances. Je préciserai quelques points.

            Il est vrai qu'il y a 100 vacances sur 440 emplois et il est vrai – c'est ce qu'a dit allusivement le rapporteur – que la difficulté de recrutement tient à la médiocrité des traitements. Mais il est vrai aussi que nous touchons là un problème qui n'est pas le mien mais celui de la fonction publique. En fait, les crédits correspondants sont utilisés pour rémunérer des auxiliaires. La solution vaut ce qu'elle vaut.

            Quant à la consommation des crédits, là aussi je suis d'accord avec vous. Pratiquement il ne s'agit pas autant qu'on l'a dit de l'inaptitude des services – en premier lieu ceux de l'architecture – à les utiliser.

            En 1964, la consommation des crédits de paiement a été compromise, d'abord, par le blocage des autorisations de programme au 1er septembre 1963. Une somme globale de 26 millions de francs n'a pu être employée de ce chef au 31 décembre; elle a été partiellement débloquée au cours de 1965 seulement, Nous devons déplorer, en second lieu, l'annulation d'un crédit de 7 millions de francs en autorisations de programme en septembre 1964.

            La question des postes eux-mêmes ? La traiter nous mènerait trop loin. Nous l'étudierons en commission.

            Sur le Ve plan, vous le savez, il n'y a pas de débat possible puisque le projet n'est pas encore déposé par le Gouvernement. Mais, quoi qu'il en soit, mon désir est naturellement de conjuguer ce qui peut être obtenu au titre du Ve plan et ce qui ne peut pas l'être. On dit que le Ve plan doit être impératif. Prenons-y garde ! Il y a, et pas seulement en France, une réalité à l'intérieur des démocraties – de celles qui ont des plans – c'est que le plan est censé être impératif pour tout le monde, sauf pour le ministère des finances; ce qui fait qu'il est impératif négativement. (Sourires.)

            Nous devons, théoriquement, faire le musée du XXe siècle. Ce musée du XXe siècle n'est pas une plaisanterie. A l'heure actuelle six cents toiles de Rouault — qui est l'un des plus grands peintres du siècle – sont dans les réserves. Or le Ve plan n'envisage pas la construction du musée. Tout ce qui est envisagé, ce sont des études. Or il faudra construire le musée. Je dis clairement : «Vive le plan s'il est impératif pour faire quelque chose et vive autre chose si le plan n'y va pas» selon la phrase de Montaigne : «Que le Gascon y aille si le Français n'y va pas».

 

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