E/1936.09 — André Malraux : «Sur l’héritage culturel» (Londres)

«Sur l'héritage culturel», discours prononcé au secrétariat général élargi de l'Association internationale des écrivains pour la défense de la culture, à Londres, le 21 juin 1936. Commune [Paris], n° 37, septembre 1936, p. 1 et 9.


 

André Malraux

 

«Pour une culture vivante : André Malraux nous parle des assises tenues à Londres par l'Association Internationale des Ecrivains»

(Compte rendu du discours par Malraux lui-même)

 

Fin du document :

Mais la principale décision de notre plenum aura été l'adoption du projet d'une grande encyclopédie internationale.

Notre idée centrale – et je reprends ici quelques-unes des idées du discours que j'ai prononcé à Londres – est celle-ci : l'art ne peut vivre hors des masses et il doit aller aux masses. Cette union de l'art et des masses est dominée par l'évolution des techniques de reproduction : l'Imprimerie, la Photographie, le Cinéma, la Radio sont les moyens qu'a eus successivement l'art pour sa diffusion. Nous pouvons maintenant considérer trois états actuels de l'œuvre d'art : d'abord l'œuvre d'art unique, ensuite sa reproduction – et nous n'avons pas à nous lever contre la multiplication de reproductions d'œuvres de Rembrandt, par exemple – un troisième stade enfin qui est celui du film. Ici la reproduction tue l'original, devient un art original. Et cet art fait pour les masses reproduit les masses, use d'elles, comme c'est le cas, par exemple pour les actualités filmées.

Quelle doit-être, dans ces conditions, notre conception de l'art de masses. Avant tout lui garder sa qualité. Et comment faire pour que ce développement qualitatif soit aussi bon que possible ? Lui donner son maximum de conscience.

Notre encyclopédie sera un moyen d'accroître la conscience. Nous voulons réaliser avec elle un manuel aussi au point que possible de l'histoire et de l'évolution de la culture, comme peut l'être – la comparaison n'est pas très exacte, mais elle fixe les idées – dans le domaine de l'Histoire de France, l'histoire de Seignobos. Nous avons dû renoncer pour des raisons pratiques au classement alphabétique mais des index y suppléeront. Nous ferons une histoire de la culture sous forme historique, et chaque volume étudiera une période donnée. Notre premier volume doit paraître avant une année.

Ce projet a recueilli l'adhésion quasi unanime du congrès. Seules des réserves ont été faites dans une certaine fraction de la section anglaise, influencée par la violente attaque menée contre le principe même de l'Encyclopédie par M. G. Wells.

L'auteur des Premiers hommes dans la lune nous dit qu'il était frivole de nous engager dans une telle entreprise parce qu'elle était trop considérable et qu'elle excédait nos forces et nos moyens. Pour lui, l'élaboration d'une encyclopédie est aussi coûteuse que la construction des navires de guerre et elle nécessite des capitaux considérables, de l'ordre de plusieurs dizaines de millions.

Je lui répondis que nous n'entendions pas construire une encyclopédie cuirassé – du type de la grande encyclopédie britannique – mais une encyclopédie sous-marin. Je veux dire une arme de guerre qui coûte infiniment moins cher qu'un cuirassé, mais qui coule les navires de guerre. Et d'ailleurs n'avait-on pas élevé de semblables objections touchant la fondation même de notre association ? Nous n'avons pas eu des millions de francs à notre disposition, mais nous avons su créer en un an une association infiniment plus nombreuse, active et puissante que le P.E.N. Club que fondèrent il y a déjà plus de 10 ans – à l'échelle internationale également – des hommes comme Wells.

La déléguée écossaise vint m'appuyer par d'excellents arguments tirés de l'histoire des encyclopédies anglaises. Certes, dit-elle en substance, la grande encyclopédie britannique a coûté des sommes fabuleuses. Mais chacun, et Wells lui-même, s'accorde à reconnaître qu'à ce prix on n'obtint qu'un résultat assez piteux. Mais, par contre, il existe deux encyclopédies anglaises généralement reconnues comme étant de bonne qualité. L'une et l'autre ont été réalisées par des groupes d'hommes qui ne disposaient que de très faibles moyens.

Le principe de l'encyclopédie a donc été adopté à la quasi-unanimité et nous allons dès maintenant commencer à la réaliser.

 

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HGWells

 

H. G. Wells