E/1969.04.14 – «Napoléon par Malraux», extrait d’un entretien avec Roger Stéphane pour la télévision

Le bicentenaire de la naissance de Napoléon devait être célébré avec grandeur. Dès 1968, Malraux, qui assumait la «présidence du Comité national chargé de la commémoration du Bicentenaire de Napoléon» (Charles Amson), avait approuvé certains projets, mais le «Non» au référendum du 27 avril 1969 décida le Général de se retirer dès le lendemain. Malraux quitta le ministère des Affaires culturelles moins d’un mois plus tard. Les plus grands projets (notamment un important discours de Malraux sans doute prévu pour le 15 août) furent abandonnés. Fut maintenue toutefois une série d’émissions de télévision qu’avait organisées Roger Stéphane. Parmi elles, figuraient quelques entretiens de Malraux sur l’Empereur.

Curieusement, le magazine Elle publia quelques extraits de cet entretien diffusé le 14 avril. Le texte était inédit et n’a été repris que partiellement par Roger Stéphane dans son André Malraux, entretiens et précisions, Paris Gallimard, 1984, (voir p. 144 et 146).

 

Pistes bibliographiques :

Les deux dictionnaires Malraux :

  • Charles Amson, «Napoléon», article du Dictionnaire Malraux, publié sous la direction de Charles-Louis Foulon, Janine Mossuz-Lavau et Michaël de Saint-Cheron, Paris, CNRS éditions, 2011, p. 583-585.
  • Peter Tame, «Napoléon Bonaparte», article du Dictionnaire André Malraux, publié sous la direction de Jean-Claude Larrat, Paris, éditions Classiques Garnier, 2015, p. 785-788.

N.B. Ni Charles Amson ni Peter Tame n’évoquent dans leurs articles le texte de Malraux que nous présentons ici, pas plus d’ailleurs que le discours qui ne fut jamais prononcé. Existe-t-il des ébauches de ce texte à la bibliothèque littéraire Jacques-Doucet ?

Dans l’œuvre de Malraux :

  • [André Malraux], Vie de Napoléon par lui-même, préface de Jean Grosjean, postface de Philippe Delpuech, Paris, Gallimard, 1991. L’ouvrage est repris en 1998. Il est la réédition du livre dépourvu de nom d’auteur (et attribué sans réserve à Malraux par Roger Stéphane), publié en 1931 sous le titre Vie de Napoléon par lui-même, rétablie d'après les textes, lettres, proclamations, écrits, Paris, Gallimard, 1930, (coll. «Mémoires révélateurs», n° 4), 405 p.
  • André Malraux, Le Miroir des limbes et Oraisons funèbres, in Œuvres complètes, t. III, éd. de M.-F. Guyard, Paris, Gallimard, 1996, (coll. «Bibliothèque de la Pléiade»).

Le commentaire de Jean Tulard à propos de cette Vie de Napoléon :

  • Jean Tulard, «Napoléon vu par Malraux ou Malraux vu par Napoléon», Commentaire, vol. 15, n° 57, printemps 1992, p. 248-249. (Sur la Vie de Napoléon par lui-même paru en en 1991.)

 

 


 

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Elle, 14 avril 1969, p. 168.

 

[…] Sur le terrain militaire, il y a un autre problème qui, je dois dire, renforce le mythe. Prenons garde qu'il n'est pas à proprement parler un grand capitaine : il est infiniment plutôt un conquérant. Un fondateur d'empires. Et le fondateur d'empires, je pense, peut supporter assez bien la défaite, même de son vivant, parce qu'il y a une chose que les hommes ressentent assez bien, c'est que les empires meurent; les empires, c'est quelque chose qui est fait pour mourir. Alors qu'une nation, c'est quelque chose qui se développe avec une puissance d'organisme. Une nation, c'est comme un arbre ; un empire, c'est comme la foudre. En fait, il a institué l'empire, mais il a accompli la révolution, et l'élément contradictoire est que par la conquête il a créé les nations européennes.

Bonaparte combat les armées monarchistes ; Napoléon, à la fin, est écrasé par les armées nationales. Alors il est surprenant de dire : cet homme parti d'une sorte d'internationalisme révolutionnaire et rêvant d'un paternationalisme triomphant crée les nations européennes, de la même façon que cet homme parti d'une nation révolutionnaire qui le menait à César, a, en fait, porté la volonté d'égalité devant la loi, dans toute l'Europe… […]

[…] Napoléon est un personnage qui semble envoyé par le destin pour accomplir autre chose que ce qu'il décide d'accomplir. Vous connaissez son rapport assez étrange avec le cosmos : le soleil qui se couche derrière l'arc de triomphe ; et cette chose qu'on connaît assez peu, et qui est le retour des cendres, l'ensevelissement du tombeau. Ce qu'on connaît, c'est essentiellement le récit, prodigieux d'ailleurs, de Victor Hugo. Mais Victor Hugo était dans la tribune. Alors ce qui s'est passé, c'est ceci :

Autrefois, je crois que c'est à Tilsitt, l'usage était que pour les cérémonies on fît entrer les rois, les reines, etc., en les annonçant avec tous leurs titres : «Sa Majesté le roi de Prusse.» Et la porte était ouverte. A un seul battant. Quand tout le monde était entré, on ouvrait la porte à deux battants et on criait : «L'empereur !» sans rien ajouter. Et Napoléon entrait…

Or, quand le cercueil est arrivé aux Invalides, on avait pris un des survivants de Wagram, et il ouvre – cette fois il n'y a pas de rois ou, s'il y en a, ils sont dans les tribunes –, il ouvre à deux battants et le survivant crie dans la crypte avec la grande résonance : «L'empereur !» Et alors le cercueil arrive. Seulement les Français avaient exigé à Sainte-Hélène de graver sur le cercueil «Napoléon» et les Anglais avaient refusé, ils voulaient seulement graver «Bonaparte», ce qui fait qu'on n'avait rien gravé du tout. Et quand, dans la crypte des Invalides, la porte s'est ouverte avec le cri : «L'empereur !», ce qui est entré, c'était un cercueil sans nom».

 

Pour lire la totalité du texte de l’entretien, télécharger le document.

 

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Page de couverture du numéro d’Elle du 14 avril 1969.
Surprenant télescopage d’un magazine «féminin» et superficiel, et de «Napoléon par Malraux».

 

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p. 169

 

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p. 170

 


 

Napoléon à Sainte-Hélène. La conquête de la mémoire. 

Du 6 avril au 24 juillet 2016, le Musée de l’Armée des Invalides propose une exposition exceptionnelle («Napoléon à Sainte-Hélène. La conquête de la mémoire») puisque la plupart des objets présentés ne sont en principe visibles qu’à Longwood House ou dispersés dans des collections privées. Près de 240 oeuvres ou objets sont montrés au public grâce aux commissaires de l’exposition que sont Mme Emilie Robbe, M. Michel Dancoisne-Martineau et Mme Léa Charliquart.

Notons qu’une ligne aérienne relie enfin l’île à l’Afrique du Sud depuis près d’un mois seulement…

Aller au site du Musée de l’Armée.

Aller au site de l’exposition Napoléon à Sainte-Hélène.

 

(c) Lady Lever Art Gallery; Supplied by The Public Catalogue Foundation

Sir William Quiller Orchardson, Napoléon dictant le récit de ses campagnes à Las Casas,

1892, National Museums Liverpool.

 

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Le lit de Longwood House dans lequel est mort Napoléon le 5 mai 1821

(exposition «Napoléon à Sainte-Hélène»)

 

 

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René Magritte, L’Avenir des statues, 1931, coll. privée. Masque mortuaire de Napoléon : plâtre peint.