E/1970.06.18 — André Malraux : «Trentième Anniversaire : André Malraux et l'appel du 18 juin».

E/1970.06.18 — André Malraux : «Trentième Anniversaire : André Malraux et l'appel du 18 juin», entretien avec Pierre Viansson-Ponté, Le Monde [Paris], n° 7908, 18 juin 1970, p. 1 et 14.


 

André Malraux

André Malraux et l'appel du 18 juin

 

Qu'est-ce que le 18 juin, que représente-t-il ? André Malraux nous répond :

— Il y a le 18 juin à sa date, et le symbole qu'il est devenu pour et par la continuité d'une action. A sa date : il ne s'agit pas d'un discours mais d'un appel. Il ne faut pas oublier l'atmosphère du moment. La débâcle de l'armée française. Toute la France jetée sur les routes. La veille, 17 juin, Pétain a prononcé à la radio de Bordeaux les mots décisifs : «C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat».

L'appel du 18 juin annonce, avec ceux qui vont le suivre immédiatement, la création d'une légion française, la volonté de poursuivre la guerre aux côtés des Alliés en ne livrant ni l'Empire ni la flotte.

C'est cela, au fond, qu'on attendait, explique André Malraux : la formation d'une unité de volontaires français qui combattraient dans l'armée anglaise jusqu'à la victoire finale; le refus d'admettre la fatalité. C'est comme cela que l'appel fut d'abord interprété et rapporté : un général français, dont on n'a pas très bien compris le nom, mais dont on a vaguement retenu qu'il a été membre du gouvernement (il le suggère : «Moi qui vous parle en connaissance de cause»), a invité, à la radio anglaise, tous ceux qui voulaient encore se battre à se joindre à lui.

Pourtant, poursuit Malraux, je ne crois pas que son action soit là.

Le général de Gaulle n'est pas un politicien. Mais il n'est pas non plus le général Anders. Dès le premier discours, celui du 18 juin, le destin de la France est en cause. Son destin, non le courage d'une poignée de combattants.

L'appel apporte une affirmation, presque une révélation, qui légitime ce qu'espèrent et n'osent espérer presque tous les Français, même ceux qui sont alors fidèles à Pétain : «France n'est pas morte». L'essentiel est là, «les prophètes d'Israël ne font nullement des prophéties : ils proclament ce que leurs auditeurs portent en eux, mais ignorent ou n'osent pas reconnaître». Ainsi de Gaulle révèle-t-il ce que beaucoup, à la fois, espèrent et n'osent espérer. Il s'agit moins de former un corps de bataille que de témoigner, moins de prophétiser la victoire finale que d'affirmer une réalité présente. «La France n'est pas morte». Une idée toute simple, perceptible pour tous.

Dans l'histoire comme dans la religion, la complexité n'a pas de valeur : les choses capitales sont simples. Le génie, c'est d'isoler l'essentiel. Regardez les proclamations de Napoléon – pas celle d'Egypte, avec les quarante siècles qui vous contemplent, – cela, ses grenadiers s'en moquaient; celles de la campagne d'Italie : «Je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde». Le discours de Clemenceau : «Je fais la guerre». Cela suffit. Ce que dit Jeanne d'Arc – pas à son procès, mais au début de l'aventure. Et Danton. Et Saint-Just. Et Gandhi. «Si l'on résumait les Evangiles, une page suffirait».

Le 18 juin, il s'agit de rendre confiance. Il répète trois fois : «La France n'est pas seule». Son argumentation acharnée : «Nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure» n'est pas destinée qu'à cette fin. Il faut maintenir dans la lutte l'Empire et la flotte pour y maintenir la France. «Il faut qu'il y ait une espérance». Si cette guerre est une guerre de trente ans (depuis 1914), la défaite n'est qu'un épisode. Il prophétise (il ne cessera de prophétiser) la victoire, mais ce qu'il veut, dès le 18 juin, c'est d'abord délivrer la France de son propre abandon. Idée importante, fondamentale.

D'où la profondeur de son conflit avec Vichy : pour lui, Vichy, c'est l'abandon. Des années durant, il défendra la France contre cet abandon. La France combattante. La Résistance.

 

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