art. 116, décembre 2011 • Rachid Hiati : «La Hollande d’André Malraux» (2011)

A. Le soulèvement des «gueux»

Soulignons tout d'abord que le pays, aux yeux de Malraux, est digne d'admiration et mérite que l'on s'y intéresse en abandonnant les images d'Épinal. Il refuse à ce titre que l'on «puisse parler aujourd'hui encore des Hollandais comme de personnages de cartes postales» (VS, 708), ou bien que l'on oublie leur résistance exemplaire aux armées hitlériennes. Ce sont, écrit-il, les cadavres d'un grand nombre de parachutistes hollandais qui gisent très vraisemblablement sous les paisibles champs de tulipes du côté d'Arnhem. Méditant devant ce qui est devenu de nos jours une attraction touristique, il se remémore ainsi les horreurs de la guerre et songe au poids tragique de l'histoire. Il évoque aussi, non sans dérision d'ailleurs, ceux qui, autrefois (au temps de Philippe II), se prenaient pour leurs maîtres – et crurent le rester indéfiniment – en les traitant de «gueux». Toutes ces remarques sont consignées dans l'important texte sur les Pays-Bas, par lequel s'ouvre symboliquement la quatrième partie de la Monnaie de l'absolu. Texte d'une dizaine de pages qui, par sa profondeur et sa densité, vaut bien le grand nombre d'ouvrages insipides écrits sur le même sujet. Malraux partage la fascination de nombreux auteurs français (Fromentin, Berl, Taine…) qui, en considération de l'histoire, l'art et la situation géographique exceptionnelle de ce petit peuple, sont émerveillés tant par ses réalisations matérielles que culturelles. 

Le XVIIe siècle, le Siècle d'or hollandais, fut de loin la période historique qui avait retenu de façon durable et profonde son attention. Les héros de cette aventure glorieuse sont, à ses yeux, essentiellement les Gueux de Mer, les peintres et, dans une moindre mesure, la bourgeoisie. Grâce aux premiers, dont l'origine sociale comprenait aussi bien les pauvres que les riches, le Provinces-Unies réussirent tout d'abord à s'affranchir de la domination espagnole, au cours des trois dernières décennies du XVIe siècle. Ils purent ensuite tenir tête, le siècle suivant, aux grandes et redoutables puissances européennes d'alors (l'Angleterre, la France), allant parfois jusqu'à faire jeu égal avec celles-ci et constituer une menace visant leurs intérêts vitaux – surtout leurs colonies. Le siècle d'or hollandais succèdera alors au siècle d'or espagnol, hissant ainsi les Pays-Bas au rang d'une grande puissance à la fois militaire, économique, financière et culturelle. Comme Taine, Malraux établit un lien entre la fin de la domination espagnole et l'épanouissement extraordinaire de la peinture hollandaise. À l'image des autres couches de la société, les artistes entrent vraiment dans le jeu, donnent libre cours à leur créativité, au moment où le pays trouve une unité qui lui donne une cohérence identitaire. En multipliant les portraits de groupe, ils vont illustrer à leur manière, fidèles en cela à cet esprit de mobilisation qui implique des efforts et un engagement à toute épreuve, les «temps héroïques» d'une nouvelle nation.

 

(Texte publié initialement dans le Dictionnaire Malraux, CNRS éditions, 2011.)

 

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© Présence d’André Malraux sur la Toile, article 116, texte mis en ligne le 11 décembre 2011.

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