art. 67, décembre 2009 • Moncef Khémiri : «Les “Antimémoires” entre autobiographie et autofiction» (2009)

La notion d'«autofiction» est associée de nos jours au nom de Serge Doubrovsky qui en avait lancé l'idée en 1977 sur la quatrième de couverture de son roman Fils. Cette notion est venue alors révolutionner l’idée que l'on s'est faite de l'autobiographie, à la suite des premiers travaux de Philippe Lejeune. Celui-ci, dans sa célèbre définition de l'autobiographie – «récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu'elle met l'accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité» – avait surtout pris en considération la dimension référentielle de l'œuvre autobiographique et sa prétention à la vérité : «Si l'autobiographie est une entreprise de quelque portée, elle doit se fonder sur une visée de la vérité, chez l'auteur, et sur une confiance dans la sincérité de l'auteur, chez le lecteur», explique Jacques Lecarme.

Pour Doubrovsky, au contraire, ce qui prime dans le récit autobiographique, c'est moins le principe du réel que celui de l'imaginaire, car dès que l'on parle de soi – à la première ou à la troisième personne, peu importe – et surtout lorsqu'on écrit sur soi, l'on se retrouve immanquablement dans la position du romancier inventant un personnage : «Le récit le plus véridique ne peut s'empêcher d'être roman, si j'écris sur moi, j'en deviens fictif […] pour demeurer en mémoire, je suis devenu mon propre mémorialiste, je récupère tout ce que je peux rattraper, je ramasse toutes mes miettes, de livre en livre j'ai refabriqué ma vie, j'en ai fait de vrais romans qui sont aussi des romans vrais, marque de fabrique, j'ai appelé ce produit l'autofiction, le mot d'abord rejeté, à présent on l'adopte, il désigne au-delà de mes écrits toute une série d'œuvres de ce temps, l'entreprise autofictive prospère […]», écrit-il dans Laissé pour conte.

Nous voudrions, dans cette étude, relire, à la lumière de cette notion d'«autofiction», les Antimémoires (1967) d'André Malraux qui nous paraissent, considérés sous cet angle, d'une incroyable modernité. Publiés en 1967, les Antimémoires, semblent annoncer ce qui se joue d'essentiel dans l'écriture autobiographique moderne dans la mesure où tout en se donnant à lire comme un récit autobiographique traditionnel, ils subvertissent le pacte autobiographique en intégrant à des faits réels avérés des éléments soit fictifs, soit fictionnels. «L'antibiographie» de Malraux – selon l'appellation que lui donne Edson Rosa da Silva – rejoindrait ainsi la pratique de l'autofiction moderne. Rappelons qu'en 1995, Jacques Lecarme dans un article paru dans la Revue des Lettres modernes, avait pas hésité à attribuer à Malraux la paternité de «l'autofiction», du moins comme pratique, entre autres à Malraux : «De cette autofiction, Malraux nous semble l'un des inventeurs, bien que ce mérite ne lui soit pas reconnu».

 
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Première publication de l’article :
 
Moncef KHEMIRI : «Antimémoires ou l’invention de la fiction», Revue tunisienne des langues vivantes, Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités, Université de la Manouba, Tunis, 2009, p. 35-54.