art. 111, octobre 2011 • Françoise Theillou : «Malraux, le baroque et la “pieuse fête jésuite”» – INEDIT

La beauté des œuvres sacrées du Musée imaginaire renvoie sans exception à leur origine mystique, et leur relation à l'art tient autant au talent de leur créateur qu'à la fonction religieuse qu'il leur a assignée en tant qu'artiste habité par la Foi. Une aura émane d'elles, note Malraux, invinciblement, « comme un écho qui répondrait aux siècles avec leurs voix successives », identifiable encore devant un crucifix ou une tête gothique, indéchiffrable sans pour autant perdre de son rayonnement quand il s'agit d'une statue sumérienne.

S'ils rompent avec l'émerveillement de la tendresse gothique et semblent exalter un Dieu sans paradis, certains peintres du jeune Quattrocento en qui l'auteur des Ecrits sur l'Art voit les représentants d'un Sévère toscan (la formule lui appartient) : un Masaccio, un Uccello, un Piero della Francesca ou un Mantegna, expriment, à travers la stylisation solennelle imposée à la fiction religieuse, « le refus de l'accent éphémère de la vie », leur goût d'une hiératique immobilité, une nouvelle et indéniable transcendance. Songeant au passage à l'espèce d'intemporelle ataraxie du Christ de la Résurrection de Piero, à qui mieux qu'à ces peintres, sans leur en donner, il s'en faut, l'exclusivité, l'expressivité du bel oxymore Les Voix du silence pourrait-elle si parfaitement s'appliquer ? Pourtant dès le XIIIe siècle Malraux perçoit une mutation de la foi occidentale : l'annexion de l'aristotélisme cherche à établir une cohérence de la religion « qui, dit-il, nuit à l'illumination » ; monde spirituel et monde temporel tendent à se rejoindre, voire à se concurrencer : la chevalerie, par la pratique de l'adoubement, donne au suzerain le pas sur le Seigneur, Saint-Bernard enjoint d'appeler la Vierge, theotokè, la mère de Dieu, « Notre-Dame », dénomination empruntée au langage courtois, le couvent devient le refuge d'une mystique sans croisade, « la radieuse fourmilière de la Sainte-Chapelle » en face de Notre-Dame exhibe ses illustres verrières où les rinceaux du psautier de Saint-Louis ont effacé les grandes figures bibliques. L'arabesque, le motif, abolissent le sens, « l'hiératisme devient calligraphie, le latin d'église accent distingué ». A côté de la cathédrale, communion avec Dieu mais aussi avec toute la chrétienté, fleurissent de concert, grâce à l'argent, et l'art profane et la piété privée.

 
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Texte mis en ligne le 10 octobre 2011. INEDIT.
 
© Présence d’André Malraux sur la Toile / www.malraux.org