Image of Art. 258, 15 novembre 2019 | document • René Guetta [Clappique], «Sonore ou parlant ?», «Cinémonde», 28 mars 1929, p. 408.

Art. 258, 15 novembre 2019 | document • René Guetta [Clappique], «Sonore ou parlant ?», «Cinémonde», 28 mars 1929, p. 408.

Hollywood, patrie du cinéma, Hollywood, terre promise pour beaucoup de ces jeunes imprudents qui veulent «faire du cinéma», Hollywood, pays de rêve, Olympe des dieux de l'écran ! M. René Guetta, qui le connaît bien pour y avoir été successivement acteur, assistant et secrétaire de grandes stars – il vécut pendant trois mois dans l'intimité de Gloria Swanson et de son mari – nous en rapporte un beau livre, plein de détails pittoresques, et qui contient d'intéressantes révélations tout en ruinant bien des légendes trop faciles : Sous le Ciel de Hollywood, Trop près des Etoiles (Plon, Editeur). Nous avons voulu, pour nos lecteurs, extraire quelques pages de cet excellent livre, qui leur donneront une idée de ce qu'est le film parlant pour les Américains, et quelle confiance ils ont en lui.

 

J'ai dit qu'avec les moyens techniques actuels, il était difficile de faire vraiment de «l'art» au cinéma. Les Américains commencent à s'en apercevoir et ils décidèrent de faire un grand effort en perfectionnant les projections en couleurs et en propageant le film parlant. Bien des techniciens me répondront qu'ils n'ont pas, jusqu'à présent, fait grand-chose pour l'art cinématographique. Je ne suis pas de cet avis. Les Américains ont chaque année plusieurs films qui leur coûtent en général plus qu'ils ne leur rapportent et tournés dans le seul espoir d'aller de l'avant. Ils n'hésitent pas, même, à payer très cher des Allemands comme Murnau et Lubitsch qui, par leur grand talent et leurs magnifiques réalisations, apportent des idées nouvelles, pour pouvoir étudier et pour être capables de transmettre à leurs compatriotes ce qu'ils viennent d'apprécier. En France, nous faisons le contraire; nous nous ancrons dans nos erreurs en n'admettant pas qu'elles soient des erreurs; en refusant, par orgueil, d'écouter ou d'étudier d'autres méthodes. Nous conservons dans leurs coquilles les mêmes metteurs en scène qui font toujours les mêmes fautes, les mêmes artistes, les mêmes assistants.

Nous ne nous offrons pas le luxe d'apprendre de l'Etranger pour pouvoir ensuite nous apprendre à nous-mêmes. Et pourtant, si l'on en juge par le résultat !

Revenons aux films parlants. Tout de suite l'opinion française fut contre. Avant de voir, on a jugé, ce qui est toujours un tort. Or, il y a un fait très net : c'est que des hommes comme Winnie Sheehan de chez Fox, comme All Rocket de chez F.N., comme Warner Brothers, comme J.-P. Kennedy, les uns et les autres qualifiés par une longue expérience, qui sont les artisans du développement du cinéma américain, ne sont pas intéressés par l'idée, mais enthousiasmés. A tel point que l'année prochaine, il y aura mille théâtres munis d'appareils parlants, et que Fox a déjà dépensé deux millions de dollars à la recherche de perfectionnements. L'idée a été lancée et adoptée avec une rapidité fantastique.

Des spécialistes de théâtre furent mandés, les meilleures voix furent enregistrées, des professeurs de diction furent accaparés. Tous les artistes ayant une expérience de la scène furent recherchés. Toute une organisation nouvelle se forma indépendamment de l'ancienne.

Paramount, même, ouvrit des studios clos depuis deux ans (Astoria, près de New-York, sous la direction de Walter Wenger, l'ancien directeur de Hollywood). Le résultat les a récompensés. Leur premier film vient de sortir. C'est un succès.

Quelles sont les raisons de cette réussite si soudaine, si inattendue ? D'abord, le film silencieux a toujours eu besoin de sons. Vous êtes-vous rendu compte de l'ennui d'un film sans musique ? Vous n'iriez pas deux semaines de suite dans un cinéma dont l'orchestre, l'orgue ou le violon, n'accompagneraient pas de sons tristes la tristesse du héros, de sons gais sa gaieté. Et les bruits de coulisse ? les bruits de vagues ? les bruits de canon ? les bruits de cavalcade ?

Ne croyez-vous pas que l'émotion provoquée en regardant le film La Grande Parade, par exemple, fut décuplée en entendant le son du canon, faiblement rendu cependant par une quelconque grosse caisse ?

Maintenant, tous ces bruits seront réels : on verra la mer, on entendra son chant. On verra défiler des soldats, on entendra leur pas. On verra des autos, on entendra le moteur; on verra un mariage, on entendra l'orgue et les chœurs. Tous les bruits généraux seront enregistrés et, au lieu d'être exécutés par des étrangers des films, seront réglés par ceux qui les créent. C'est la ruine des bruits de coulisses, si grotesques souvent. C'est presque la ruine des orchestres. Mais quelle unité de sensations quand, à Saïgon, par exemple un film tourné à Los Angeles pourra impressionner l'audience avec des vibrations captées par les mêmes cerveaux créateurs; cela ne remplacera-t-il pas avantageusement, par leur unité, la vue d'une tempête formidable, accompagnée d'un grêle piano mécanique ?

Enfin, le film parlant ouvre le champ très limité du film silencieux.

Il fallait quelque chose de nouveau qui intéressât la foule un peu blasée de la monotonie des pellicules. Le film silencieux était coincé. L'art et la fantaisie étaient limités par la manière même dont on projetait le drame. Les films silencieux n'atteignaient que l'un de nos sens : la vue. Bien des effets se trouvaient, par conséquent, diminués d'intensité; bien des choses inexplicables alors pourront être développées quand il sera possible d'impressionner deux sens au lieu d'un. Et la délicatesse du nouveau procédé qui commence à être mis au point sera, justement, l'art de n'impressionner qu'au bon moment, par un effet choisi avec soin. Combien, dans ces conditions, le sentiment de la peur, entre autres, incomplet jusqu'à présent au cinéma, pourra être développé ! La nuit, un coup de revolver ! Un Cri ! Cette banalité fatigante jusqu'à présent peut devenir maintenant tellement angoissante ! De même, certaines phrases dites au moment propice. Un mot d'amour, d'homme à femme, de mère à enfant. Un hurlement de désespoir, un murmure de résignation murmuré par un gosse en pleurs.

René Guetta.


Télécharger le texte ici.