Le Miroir des limbes, II, VI (Lazare), in Œuvres complètes, t. III, «Pléiade», p. 858 :
«J’ai dit : l’amour. Vers 1925. Comme les jeunes imbéciles d’alors, je ne croyais pas à son existence. Dans une petit cinéma, au moment où la lumière reparut, je vis devant moi Nénette et Rintintin, dix-huit ans chacun. Ils ne s’embrassaient même pas. Ils se regardaient. Avec tant d’émerveillement que je pensai aux insectes qu’on tue sans pouvoir desserrer leur étreinte. Cramponnés l’un à l’autre comme les mourants se cramponnent au fer rouge de l’agonie.»
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Idem, II, V (La Tête d’obsidienne), p. 783 :
Picasso à Malraux : «Les peintres, enfin : les tableaux ! deviennent comme les canards qui ont mangé la même ficelle. Les vieux couples, vous savez ? Peut-être, c’est la France : Corneille et Racine, Ingres et Delacroix, Corot et Daumier, Cézanne et Van Gogh, Nénette et Rintintin… »
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L’apparat critique de la «Pléiade» ne donne aucune information sur ce couple étrange que forment «Nénette et Rintintin». Dans son édition des Œuvres complètes de Breton (t. I, «Pléiade», 1988), Marguerite Bonnet explique «L’éternelle Nénette», expression notée par l’auteur dans Alentours II, «Carmet», p. 466 : «Nénette et Rintintin étaient de petites poupées fétiches très populaires durant la guerre et l’après-guerre».
Il semblerait que les personnages ou les poupées de Nénette et Rintintin aient été inventés en 1913 par le dessinateur Francisque Poulbot, auteur des gosses de Paris qui portent son nom. Il commença par confectionner des poupées que l’on nomma «Les Poulbottes» «pour remplacer, dit-il, […] les pantins allemands à la perruque filasse et à l’air idiot, les horreurs Made in Germany». Puis ce fut le tour de Nénette et Rintintin qui visaient le même objectif.
Il faut préciser que, contrairement aux apparences linguistiques, «Nénette» désigne le garçon et «Rintintin» la fillette, ainsi que le suppose l’image qui suit et que l’exprime le texte de Poulbot cité ci-après.
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Nénette et Rintintin, en 1913, selon le projet initial de Francisque Poulbot
A ce propos, il écrit dans «L’histoire de Nénette et Rintintin» : «Alors je voulais mettre dans les bras des petites mamans, à qui le père Noël n’apportait plus que d’affreux bébés Cadum, une progéniture à leur image, brune ou blonde, maigrichonne ou potelée, à la figure mince ou joufflue, aux yeux bruns ou bleus. […]
Alors la guerre a tout déragé.
– Hélas ! Comme te voilà fait, Nénette ! Jaune !… vert !… des bras et des jambes de laine ! Et toi, Rintintin! C’est ta jolie robe, cette houpette effilochée bleue et rouge ? Vous êtes fous ! Pendus par la tête comme des Zigomar ! […]
Mais les misérables, dansant au bout de leur chaînette de laine treize fois nouée, m’ont dit en secouant le petit Lardon :
“C’est toi qu’es fou ! Tout le monde nous adore et nous aime. Nous avons dégoté les amulettes les plus riches, la main de Fatma, le trèfle à quatre feuilles, le petit cochon d’or, le scarabée, le chiffre 13 et l’éléphant de Mme de Thèbes. Nous sommes les fétiches à la mode, qui protégeons les Parisiennes contre les bombes des gothas et l’obus du gros kanon [sic]. […]”
“Nous sommes les gris-gris à la mode, qui triomphons du mauvais sort. Gardez-nous à votre cou, à la chaîne de votre montre, à votre bracelet, au fond de votre poche… au pare-brise de votre voiture. Avec nous trois [Nénette, le papa; Rintintin, la maman, et le petit Lardon ou Radadou, le bébé], jamais malade, jamais mourir !”
“Après la guerre, cher papa [Poulbot], Rintintin, Nénette et le petit Lardon, Sansonnet, Baba et Fanfois, tous, tous les miteux, tous les salés, tous les moucherons, nous serons comme tu voulais nous voir, des petites poupées françaises bercées dans les bras de leurs petites mamans françaises.”»
Nénette et Rintintin, carte postale porte-bonheur envoyée durant la Grande Guerre
Le succès populaire de Nénette et Rintintin fut immense en France. On portait vraiment sur soi ces poupées fétiches, on envoyait aux soldats se battant sur le front des cartes postales à leur effigie censées leur donner du courage puisqu’elles étaient des «protège-Gothas». (Le Gotha était le bombardier le plus féroce de l’aviation allemande.) Le couple servit aussi de surnom pour désigner les jeunes soldats et leurs amies. Nénette et Rintintin survécurent à la guerre. Des livres pour enfants raconteront leurs diverses aventures.
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Nénette soldat et son amie Rintintin pris à partie par le Gotha-vautour allemand
Guillaume Apollinaire publie ce billet le 16 juillet 1918 dans le Mercure de France :
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NENETTE ET RINTINTIN
Remarquons ceci pour finir. Il se pourrait bien que certains «bonshommes» de Poulbot («tous les salés»), rappelant parfois les caricatures de Rodolphe Töpffer ou proches de certains personnages insolites et délurés de la bande dessinée du début du XXe siècle (les Pieds Nickelés de Louis Forton?) aient pu intéresser le jeune André Malraux et inspirer certains détails de l’Ecrit pour une idole à trompe.
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- Francisque Poulbot : Encore des gosses et des bonshommes. Cent dessins et l’histoire de Nénette et Rintintin, Paris, A. Ternois, s.d. [vers 1920]. Vignette : p. 17. Citations : p. 13-16.
- Voir aussi Camille Ducray, «Le Fétiche du Poilu», Le Pays de France, n° 193, 27 juin 1918. L’article est repris sur le site www.greatwardifferent.com.
- Même site, page Francisque Poulbot (1879-1946).
- Site d’Anne-Marie Porot : «Les poupées de Poulbot».
- Albert Dauzat : Légendes, prophéties et superstitions de la Grande Guerre, Paris, éditions Vuilbert, 2012, (coll. «La librairie Vuibert»), 304 p.
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