Jacques Foccart : «Foccart parle», 1995

Philippe Gaillard interroge Jacques Foccart sur le R.P.F. et les hommes qui l’ont animé. Après l’évocation de Claude Guy, Georges Pompidou, Claude Mauriac, Michel Debré et Jacques Chaban-Delmas, voici André Malraux.

 


 

Philippe Gaillard : «Pour finir en beauté, Malraux ?

Jacques Foccart : «Je n’ai pas besoin de vous dire qu’André Malraux était un homme remarquable. Je dirai séduisant. Sur n’importe quel sujet, il se lançait sans préparation dans de grandes explications passionnantes. Il avait parfaitement compris le Général. Il avait sur lui beaucoup d’influence, et cette influence était réciproque.

«Quand il était lancé, on ne pouvait pas l’arrêter – et on n’en avait aucune envie. Je me rappelle un déjeuner avec lui au restaurant La Gaillote, place du Marché-Saint-Honoré. A 3 heures moins le quart, j’ai téléphoné pour annuler un rendez-vous, à 4 heures moins le quart pour en annuler un autre. Jusqu’à 5 heures, j’ai écouté, fasciné, un Malraux passionné qui bâtissait l’avenir. On ne nous a pas mis dehors, parce que c’était Malraux, mais le serveur nous regardait d’un air consterné.

«Après la mise en sommeil du Rassemblement, en 1953, on ne le voyait plus beaucoup, mais il était toujours en éveil. Par exemple, quand on a trouvé du pétrole à Hassi Messaoud, en 1956, il m’a demandé de venir le voir. «Cela change tout pour l’avenir de l’Algérie ! s’est-il exclamé. La France doit enfin avoir une politique d’avenir pour l’Algérie, et il n’y a que le général de Gaulle qui pourra la conduire.»

«J’ai eu l’occasion de faire un voyage avec lui aux Antilles pendant la campagne pour le référendum de 1958. Le Général lui avait demandé d’aller expliquer aux Antillais la politique généreuse qu’il avait décidé d’appliquer…

 

P.G. : «Pourquoi Malraux, qui était alors ministre délégué à la présidence du Conseil, et non le ministre de la France d’outre-mer ?

J.F. : «Peut-être parce que Bernard Cornut-Gentille était assez occupé avec l’Afrique. Et puis pour que ce soit un événement. Malraux pouvait aller aux Antilles avec tout son prestige personnel; il était attendu avec un préjugé favorable par la gauche et les indépendantistes. Il pouvait s’adresser sur le ton qui convenait aux auditoires qui apprécient toutes les formes d’exubérance. Cornut-Gentille n’aurait pas fait ses discours sur le même registre !

«Le Général se méfiait quand même des excès lyriques auxquels son ministre ne manquerait pas de se laisser emporter. «il faut, m’avait-il dit, que vous l’accompagniez, et pas seulement pour l’informer et lui faciliter les contacts. Je vous demande de veiller à ce qu’il ne promette pas la lune à ses interlocuteurs ou à ses auditeurs.» J’ai fait ce que j’ai pu, sans parvenir à le retenir de promettre la construction d’un ensemble HLM à Basse-Terre, qui ne figurait pas dans le plan. Le Général a donné des instructions pour que cette promesse soit tenue.»

 


 

Source : Philippe Gaillard, Jacques Foccart, Foccart parle : entretiens avec Philippe Gaillard, t. I, Paris, Fayart – Jeune Afrique, 1995 : p. 83-85.