André Duboscq : «La guerre en Chine», «L'Illustration», n° 4256, 27 septembre 1924, p. 254. (1)

André Duboscq : «La guerre en Chine», L'Illustration, 27 septembre 1924, n° 4256, p. 254.

 

La Chine est, depuis quelques semaines, le théâtre d'une nouvelle guerre. Les événements, que l'on prévoyait dès le début de l'année, peuvent se résumer de la façon suivante :

Deux gouverneurs militaires de province, deux toukiuns, se battent : celui du Kiang-Sou et celui du Tché-Kiang. Changhaï, bien que situé au Sud du Kiang-Sou, est sous l'autorité politique et administrative du Tché-Kiang, et c'est pour la conquête de cette cité, et surtout de son arsenal, que le Kiang-Sou s'est mis en campagne. Il a eu pour lui l'appui moral d'abord du président de la République Tsao-Koun et du maréchal Ou-Pei-Fou, soutien du gouvernement de Pékin, désireux de réduire le Tché-Kiang comme il a réduit le Foukien, le Honan, le Houpeh, le Seut-chouen, et de reconstituer l'unité politique de la Chine.

Le Tché-Kiang a compté, de son côté, sur le super-toukiun de Mandchourie, le maréchal Tchang-Tso-Lin, pour le défendre et le maintenir indépendant de Pékin. Sun-Yat-Sen, également, lui a promis son aide contre Pékin.

Telles furent, tout d'abord, les positions respectives des adversaires.

Or, Sun-Yat-Sen ne dispose ni des moyens militaires, ni des moyens financiers nécessaires à une expédition. Il a dû l'avouer peu de jours après la promesse qu'il avait faite.

Tchang-Tso-Lin semble avoir hésité quelque temps à jeter ses effectifs dans la mêlée et à compromettre l'avenir de l'armée qu'il prépare avec soin pour prendre sa revanche de 1922 sur Ou-Pei-Fou. On se souvient qu'à cette époque ce dernier l'a battu presque sous les murs de Pékin et contraint à rentrer assez piteusement à Moukden, sa résidence en son fief de Mandchourie.

Cependant, le gouvernement chinois s'est bientôt déclaré effectivement en faveur du Kiang-Sou et des troupes de Pékin ont été envoyées par Ou-Pei-Fou vers le Sud pour aider celles de cette province, ce qui a dû décider Tchang-Tso-Lin à attaquer au Nord l'armée de Pékin, malgré l'inondation qui, en grande partie, recouvre la province du Tchili. Dans ce cas, la Chine septentrionale et orientale, et non plus seulement deux provinces de l'Est, est intéressée aux événements; mais il faut se rappeler qu'en Chine, tandis que les armées combattent, les négociations ne chôment pas et que la souple diplomatie extrême-orientale sait arrêter ou changer le cours des événements de la façon la plus imprévue.

Les nouvelles les plus récentes donnent l'armée du Tché-Kiang en mauvaise posture; des effectifs sont passés à l'ennemi, les troupes du Kiang-Sou menacent Changhaï, mais les succès remportés à la frontière de Mandchourie par Tchang-Tso-Lin sur les forces de Pékin, commandées par Ou-Pei-Fou, paraissent avoir redonné du cran aux soldats du Tché-Kiang.

Rien n'indique encore, au moment où nous écrivons, que Tchang-Tso-Lin atteindra Pékin, bien que des dépêches américaines annoncent que les Japonais, redoutant pour lui un retour offensif de Ou-Pei-Fou, facilitent le transport de ses troupes d'une façon qui paraît invraisemblable. Le gros de ses forces est à plus de 150 kilomètres de la capitale et celles du gouvernement sont imposantes. La chute de Changhaï, si elle a lieu entre temps, peut du reste modifier les plans du «roi sans couronne» de Mandchourie. De ce côté, la province du Foukien, ralliée à Pékin, est entrée en ligne; puis la flotte indépendante de Changhaï aurait appareillé pour le golfe du Tchili, où elle se joindrait à celle du gouvernement; autant de facteurs nouveaux, sans parler des influences étrangères probables, qui peuvent peser sur les événements, dont on ne saurait dire comment ils se termineront.


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