Brigitte Friang : Malraux et le Bangladesh, 1975

«Ou peut-être Malraux espérait-il retrouver, plus que l’Espagne où sa guerre avait été aérienne, sa brigade Alsace-Lorraine lorsqu’il avait promené avec acharnement son petit béret noir et sa canadienne aux points les plus rudes des engagements, afin de souder hommes et officiers à sa bannière dans cette égalité de chances qu’évoque André Chamson, ou de sculpter sa légende comme le soupçonne son ami écrivain et compagnon de combats, mais me semble-t-il, d’abord par esthétisme.
«Néanmoins le Malraux de la campagne de France avait 43 ans. Le Malraux du Bangla-Desh en aurait 70, mais usé par des nerfs trop vibrants depuis trop d’année, par un esprit sans repos trop sollicité par trop d’intérêt, par trop de nuits arrachées au quotidien pour la conduite de son oeuvre, avec, depuis trop longtemps, petites pilules pour s’empêcher de dormir le soir, puis petites pilules pour se réveiller le matin, le tout sans s’astreindre à ne pas boire d’alcool.» (Un autre Malraux, 1977, p. 109-110.)

«Consciemment ou pas, comment savoir, ce n’était pas exactement le genre de question facile à poser, Malraux ne souhaitait-il pas une mort tragique qui eût scellé, dans la gloire et le sang, son fulgurant parcours plus que tout autre scandé par les chants funèbres des morts arbitraires. Mort peu commune de son grand-père s’ouvrant le front d’un écart d’une hache double, suicide de son père, mort de son frère déporté Roland sur un bagne flottant de la Baltique, bombardé par les Alliés, mort de son dernier frère Claude fusillé par les Allemands, mort de Josette Clotis, la mère de ses deux fils, les jambes coupées par un train de la libération, mort des deux jeunes garçons dans un accident de voiture. Et pour finir, mort sans doute davantage banale de Louise de Vilmorin, mais avec qui il entamait une autre vie, et peut-être à cause d’une grippe soignée avec trop d’énergie de peur de manquer un séjour à la Mamounia.
«Et s’étant persuadé qu’il courait à la mort à laquelle son esprit aspirait esthétiquement, alerté par un indéniable délabrement physique, n’était-ce pas un sursaut, un recul animal devant cette mort qui le retint, grandit les obstacles sur le chemin de New Delhi.» (Idem, p. 112-113.)

© Brigitte Friang, Un autre Malraux, Paris, Plon, 1977.
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