A propos de Chair et cuir, le chef-d’œuvre de Félicien Marceau selon le récipiendaire : /
«Magis, le narrateur et le héros de l'histoire, fait, un jour, cet étrange constat : la vie ne ressemble pas au discours généralement tenu sur elle. Entre les mots proférés et les choses vécues, il y a un abîme dont personne ne paraît s'apercevoir. Car les hommes prennent pour l'être vrai le système formé par la rumeur, les préjugés, les lieux communs, les expressions toutes faites qui composent l'esprit du temps. Cartésiens et fiers de l'être, ils ont le cogito pour credo. « Je pense, donc je suis » disent-ils alors que, le plus souvent, au lieu de penser, ils suivent. Ils se veulent indépendants de la société. Mais cet individualisme est une chimère. La société ne leur est pas extérieure, elle leur colle à la peau. Dès qu'ils ouvrent la bouche, c'est elle qui parle. Ne s'étant jamais réveillé que l'haleine chargée et la bouche pâteuse, Magis a fini par comprendre que quelque chose ne tournait pas rond dans la langue. Au lieu de l'exactitude attendue, il y a vu à l'œuvre ce que Heidegger appelle la dictature du On : « Nous nous réjouissons comme on se réjouit ; nous lisons, nous voyons et nous jugeons de la littérature et de l'art comme on voit et juge ; plus encore nous nous séparons de la masse comme on s'en sépare. Nous nous indignons de ce dont on s'indigne. »
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Sur la position politique de Félicien Marceau après la Seconde Guerre mondiale : /
«Au lieu de prendre la mesure de la catastrophe européenne, un certain nombre d'écrivains talentueux, regroupés autour des revues La Table ronde ou La Parisienne, firent flèche de tout bois contre ce qu'ils vivaient comme l'arrogance insupportable des triomphateurs. Sans se laisser entamer le moins du monde par la découverte de l'ampleur des crimes nazis, ils revendiquèrent pour eux la qualité de parias, de proscrits, de persécutés et la critique du résistancialisme leur tint lieu d'inventaire. Ils reconnaissaient que l'Occupation avait été une époque pénible, mais c'étaient les excès de la Libération qui constituaient pour eux le grand traumatisme. Félicien Marceau a toujours su préserver sa singularité. Reste qu'il faisait partie de cette société littéraire qui s'était placée sans état d'âme sous le parrainage des deux superchampions de l'impénitence : Jacques Chardonne et Paul Morand. Je suis donc fondé à penser avec regret que, pour l'essentiel, il en partageait l'humeur.»
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Sur l’opinion que l’«on» se fait de Félicien Marceau actuellement :
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«Arrivé au terme de ce périple, j'ai les mots qu'il faut pour dire exactement ce qui me gêne et même me scandalise dans la mémoire dont Félicien Marceau fait aujourd'hui les frais. Cette mémoire n'est pas celle dont je me sens dépositaire. C'est la mémoire devenue doxa, c'est la mémoire moutonnière, c'est la mémoire dogmatique et automatique des poses avantageuses, c'est la mémoire de l'estrade, c'est la mémoire revue, corrigée et recrachée par le Système. Ses adeptes si nombreux et si bruyants ne méditent pas la catastrophe, ils récitent leur catéchisme. Ils s'indignent de ce dont on s'indigne, ils se souviennent comme on se souvient.»
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Relisez le dernier paragraphe et remplacez «Félicien Marceau» par «André Malraux». Vous n’aurez rien d’autre à changer.
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Source : www.causeur.fr.
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Dans la réponse de Pierre Nora : /
Sur la culture
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«La priorité donnée à la revendication de chacun à sa culture, au détriment de la participation à la culture vous paraissait d'autant plus dissolvante qu'il devenait évident à ce moment-là que le terme de culture avait pris deux significations ennemies. La première exprimait les grandes œuvres et les productions supérieures de l'esprit ; la seconde couvrait le tout culturel et n'importe quelle forme de culture populaire. Pas de différence de niveau désormais entre Shakespeare et une bande dessinée. Devant la montée en puissance de la culture de masse, l'exercice de la pensée se trouvait menacé, d'un côté par l'organisation technique du monde qui enferme les savoirs dans leur spécialité ; de l'autre, par le loisir culturel et l'industrie du divertissement. Conclusion : “La barbarie a fini par s'emparer de la culture.”»
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Sur la littérature /
«L'homme que nous avons élu, c'est le représentant de la haute culture qui contribue à faire vivre en France le débat intellectuel sous sa forme la plus digne. C'est l'auteur du Cœur intelligent, votre plus beau livre à mon goût, cet hymne aux grandes œuvres contemporaines, qui nous délivrent la vérité de notre temps et la vôtre. La littérature c'est, pour vous, ce qui, dans le temps où triomphe un manichéisme sommaire, préserve la nuance. L'élucidation par les grands textes des mystères de l'existence. “Être homme, dites-vous, c'est confier la mise en forme de son destin à la littérature.” Vous l'avez fait, et avec tant d'éclat qu'en vous lisant, on pense irrésistiblement à la belle phrase de Paul Valéry sur Pascal : “Une détresse qui s'écrit si bien n'est pas si achevée qu'elle n'ait sauvé du désastre quelque raison d'espérer.”»
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