André Chamson : «En juin 1940…», L'Alsace française, nouvelle série, n° 1, octobre 1948 : «La Brigade Alsace-Lorraine», p. 4-5.
André Chamson
«En juin 1940…»
En juin 1940, alors que nous battions en retraite à travers les montagnes du Jura, j'avais pris rendez-vous avec une paysanne intrépide qui m'avait dit sur le seuil de la porte de sa ferme :
«Au revoir, vous reviendrez dans quatre ans, avec le peuple de France et de jeunes Généraux».
A ce rendez-vous, je fus fidèle, avec quatre mois de retard. Le peuple de France, c'était la Brigade et les jeunes Généraux ne nous manquaient pas. Sans doute, la jeune fille n'était-elle pas au rendez-vous et fallut-il alors que nous allions la chercher jusque dans un camp de déportation, de l'autre côté du Rhin. Mais ce n'était pas nous détourner de la route que nous nous étions assignée. Car la route de la Brigade était celle de toutes les fraternités et des plus mystérieuses, de celles qui reposent par un simple regard échangé en quelques secondes et qui plonge cependant au plus profond de l'espace et du temps.
Du Lot, de la Corrèze et de la Dordogne, jusqu'au pays d'où l'on peut voir la flèche de la cathédrale de Strasbourg dans le soleil couchant, notre route a été celle de ces fraternités fulgurantes. C'est pour cela sans doute que le souvenir de ce temps-là s'attache maintenant, pour beaucoup d'entre nous, à tout ce qui constitue leur décor d'histoire et de légende. Elle est peut-être, au fond de notre cœur, l'essence de ce que nous appelons l'action, le devoir et quelquefois même la gloire et, s'il y a peut-être aussi, dans notre nature et dans notre destin, quelque chose qui nous pousse à toujours remettre en question ces fraternités qui sont les plus hautes chances de notre vie, il y a aussi, dans certaines de ces fraternités, quelque chose d'indestructible qui ne saurait être remis en question.
La fraternité de notre Brigade est une de ces fraternités.
