Art. 250, juillet 2019 | document • André Duboscq : «Les événements de Chine – La guerre civile à Canton», «L'Illustration», 22 novembre 1924, n° 4264, p. 470 – 472.

André Duboscq : «Les événements de Chine – La guerre civile à Canton», L'Illustration, 22 novembre 1924, n° 4264, p. 470 – 472.

Au commencement du mois d'août, les marchands de Canton, décidés à se défendre contre les soldats pillards du pseudo-gouvernement de Sun-Yat-Sen, avaient organisé une milice, le «corps des volontaires marchands», pour laquelle ils s'étaient fait autoriser par ce gouvernement à recevoir des armes. Quand ces armes arrivèrent à Canton, sur un navire battant pavillon norvégien, le Hav, Sun-Yat-Sen les fit saisir et en arma, le 26 août, le premier bataillon du corps ouvrier désigné sous le nom d'«armée rouge» qui, dans son esprit, devait monter vers le Nord combattre les troupes du gouvernement de Pékin.

C'était l'époque où les provinces du Kiang-Sou et du Tché-Kiang bataillaient entre elles, ainsi que nous en avons rendu compte précédemment.

Les marchands protestèrent avec véhémence et, derrière leur chef, qui était comprador (principal employé, sorte de fondé de pouvoir intermédiaire entre les étrangers et les Chinois dans toutes les affaires bancaires ou commerciales en Chine) de la Hong-Kong and Shanghaï Banking Corporation, se posèrent nettement en adversaires de Sun. Ils refusèrent de payer toute espèce de taxe et, ce qui était plus grave, de céder la moindre quantité de riz pour la nourriture des soldats de Sun-Yat-Sen. Celui-ci fit alors entrer à Canton des troupes qu'il appelait «volontaires du Labour Party», composées de mercenaires fournis en partie par la province du Yunnan et de gens sans aveu ramassés dans la ville et ses environs. Pour intimider les marchands, un navire de guerre parcourait nuit et jour le Si-Kiang en actionnant ses projecteurs et ses sirènes.

Mais le consul de Grande-Bretagne à Canton avertit Sun que s'il faisait bombarder la partie de la ville où s'étaient massés les volontaires marchands, le commodore de Hong-Kong avait l'ordre de prendre des mesures immédiates contre les autorités cantonnaises. Sun-Yat-Sen se garda donc de faire bombarder la ville et se contenta de lancer un manifeste de protestation contre les agissements des marchands et l'ultimatum britannique dont le but, disait-il, était de renverser son gouvernement.

Des arrangements finirent par être conclus avec les marchands; ces derniers devaient verser une somme de 500.000 dollars pour aider à préparer l'expédition vers le Nord, moyennant quoi les armes saisies leur seraient restituées.

Pour sceller ce pacte, en réalité pour endormir la confiance des marchands, Sun eut l'idée originale de leur distribuer solennellement des drapeaux. C'est cette distribution que représentent deux de nos photographies. Mais, comme nous l'avons dit, les armes se trouvaient déjà données aux généraux de Sun, qui ne se soucièrent pas de les enlever à leurs hommes.

Cependant, les choses en restèrent là plus d'un mois. Mais, le 10 octobre, treizième anniversaire de la République chinoise, une rencontre sanglante eut lieu entre les volontaires marchands et ceux du Labour Party. Le jour suivant, Sun envoya des soldats pour ouvrir de force les boutiques des marchands grévistes. Ceux-ci se barricadèrent et firent subir de lourdes pertes aux soldats, qui auraient certainement été obligés de se replier si un général, connu pour ses exactions et sa cruauté, n'avait ordonné d'incendier les quartiers assiégés.

Quand on connaît les rues étroites des quartiers marchands de Canton, on peut imaginer les ravages qu'y peut faire l'incendie. Dix mille personnes furent, dit-on, ensevelies sous les décombres de trois mille maisons.

Il paraît que les soldats, avant de mettre le feu, avaient enlevé les outils des pompiers, qu'ils s'en servirent pour démolir les barricades et que la Croix-Rouge fut mise dans l'impossibilité de porter secours aux assiégés. Quand les volontaires marchands se rendirent pour éviter un plus grand désastre et surtout la mort d'un grand nombre de femmes et d'enfants, les soldats pillèrent les boutiques qui n'étaient pas détruites. Des marchandises de toutes sortes, principalement des soieries, des fourrures et des bijoux, furent enlevées et revendues plus tard dans les rues.

Les marchands ont quitté Canton en grand nombre. Beaucoup d'entre eux s'étaient réfugiés pendant la bataille et l'incendie, avec ce qu'ils avaient pu emporter, dans les bâtiments de la Mission cantholique qui se trouve à côté de la cathédrale, au centre de la ville; ils n'y furent point dépouillés grâce à l'énergique intervention des missionnaires. Les soldats tentèrent à plusieurs reprises de percer les murs de la Mission pour détrousser les malheureux qui s'y étaient rassemblés.

Le 17 octobre, un télégramme de presse annonçait la défaite des volontaires marchands. Ce fut, cette fois, le parti communiste de Grande-Bretagne qui envoya de Londres ses félicitations à Sun-Yat-Sen.

Il va sans dire que la fameuse expédition que celui-ci avait projetée contre les troupes de Pékin, qui combattaient au Kiang-Sou, a été abandonnée, au milieu des événements de la guerre civile, avant même d'être commencée. Elle dépassait d'ailleurs de beaucoup les moyens financiers et militaires dont disposait Sun, en dépit des parades de ses troupes défilant au pas de l'oie.

Ce n'est pas la première fois que celui-ci prétend partir en guerre contre Pékin, mais ses velléités ont depuis longtemps cessé d'être prises au sérieux par les autorités de la capitale, qui l'ont baptisé «le tigre de papier», par une ingénieuse allusion à ces mannequins recouverts de papier qu'en Chine l'on promène dans les rues en diverses circonstances, et qui représentent des objets, des animaux ou des personnes.

Depuis la fin de la guerre civile à Canton, les hostilités ont également cessé au Nord de la Chine. Nous avons écrit dans notre précédent article qu'une conférence devait avoir lieu, à laquelle Sun-Yat-Sen avait été convoqué. Celui-ci a quitté Canton au milieu de novembre et s'est embarqué à Hong-Kong pour Changhaï; de là, il gagnera Tien-Tsin où doit en principe se réunir la conférence. Mais, d'après les télégrammes qui arrivent d'Extrême-Orient, les dissentiments sont tels en ce moment entre les autorités chinoises les plus en vue et, en particulier, dit-on, entre Tchang-Tso-Lin et Feng-Yu-Siang, qu'il est permis de se demander si cette conférence aura lieu…



Fumées d’incendie sur un quartier de la ville pendant les batailles de rue du 10 au 12 octobre. Une mitrailleuse, postée en haut des marches, à l’entrée du pont situé au confluent de la rivière la Perle et d’un canal, empêche les assiégés de fuir.


Un détachement de la Croix-Rouge, ayant vainement essayé de secourir les blessés, s’en retourne avec ses drapeaux blancs.