Image of Art. 255, juillet 2019 | document • Patrick Grisel et René Martin : «L'abbé Georges Magnet 1908-1944 : un héros de la Résistance», septembre 2009, p. 1-22. Extraits.

L’abbé Magnet, dit «La Barbe» au camp de Colomiers, dans le groupe des Dix.

Art. 255, juillet 2019 | document • Patrick Grisel et René Martin : «L'abbé Georges Magnet 1908-1944 : un héros de la Résistance», septembre 2009, p. 1-22. Extraits.

Malraux et l'abbé Magnet

Malraux, Antimémoires, 1967, puis 1972 et 1975. Le début du livre.

1965 – Au large de la Crète

Je me suis évadé, en 1940, avec le futur aumônier[1] du Vercors. Nous nous retrouvâmes peu de temps après notre évasion, dans le village de la Drôme dont il était curé, et où il donnait aux Israélites, à tour de bras, des certificats de baptême de toutes dates, à condition pourtant de les baptiser : «Il en restera toujours quelque chose…».

Il n'était jamais venu à Paris : il avait achevé ses études au séminaire de Lyon.

Nous poursuivions la conversation sans fin de ceux qui se retrouvent dans l'odeur du village nocturne.

— Vous confessez depuis combien de temps ?

— Une quinzaine d'années…

— Qu'est-ce que la confession vous a enseigné des hommes ?

— Vous savez, la confession n'apprend rien, parce que dès que l'on confesse, on est un autre, il y a la Grâce. Et pourtant… D'abord, les gens sont beaucoup plus malheureux qu'on ne croit… et puis.

Il leva ses bras de bûcheron dans la nuit pleine d'étoiles :

— Et puis, le fond de tout, c'est «qu'il n'y a pas de grandes personnes»…

Il est mort aux Glières[2].

*

Une biographie

Né à Dieulefit en 1908, curé de la Bâtie-Rolland depuis 1931, professeur de philosophie au collège de Chabrillan à Montélimar, l'abbé Georges Magnet fut, dans la Résistance, l'un des rares prêtres drômois présent dans un maquis comme combattant, c'est-à-dire les armes à la main.

Son activité dans la Résistance commence avant son appartenance à un maquis. Depuis 1942, il était le chef et l'animateur du «groupe de Résistance de la Bâtie-Rolland».

Dans cette paroisse, il s'est opposé au départ des jeunes pour l'Allemagne, s'employa à les cacher, à les ravitailler et à leur fabriquer de fausses cartes d'identité.

Il s'occupa aussi d'un trafic d'armes parachutées par les Alliés. Il avait recruté dans les communes voisines une équipe dite de protection des parachutages. Plusieurs fois, le groupe dut se déplacer et passer la nuit sur les communes environnantes de Portes-en Valdaine et de la Touche.

Pour Madame Martin, sœur de Georges Magnet, cette première Résistance peut s'expliquer par plusieurs raisons : homme d'action, il avait été mobilisé en 1940, fait prisonnier il s'était évadé quelques temps plus tard [avec le groupe des Dix, auquel appartenaient Malraux, Grosjean et Jeener].

Après une courte adhésion au régime de Vichy, son action s'inscrivit en réaction contre la collaboration avec l'Allemagne vers laquelle tendait le régime du Maréchal.

Le problème juif a eu, comme pour beaucoup de chrétiens une grande importance pour son entrée en Résistance. Selon Jean Baptiste Jeener qui l'a bien connu, il y avait chez lui une haine viscérale et un incoercible esprit de révolte contre l'injustice, qu'elle le touche ou qu'elle frappe ceux qui l'entourent. Il ne pouvait supporter la moindre atteinte à la dignité de l'homme.

Dans sa paroisse, il apporta un secours constant aux familles juives traquées.

André Malraux, après son évasion en compagnie de l'abbé Magnet écrivait : nous nous retrouvâmes peu de temps après l'évasion, dans le village de la Drôme dont il était le curé (la Bâtie-Rolland) et où il donnait aux israélites, à tour de bras, des certificats de baptême de toutes dates, à condition pourtant de les baptiser.

Ces activités le rendirent suspect à la Gestapo et pour des raisons de sécurité, il dut quitter la Bâtie-Rolland en 1944.

De son passage au Vercors, deux aspects de Georges Magnet peuvent être retenus : ce fut tout d'abord, comme combattant, qu'il rejoignit au maquis du Vercors le 11e Cuirassier, il devint maréchal des logis sous le nom de Gaston Martin.

Après avoir été chargé de la surveillance d'un passage sur la route des Grands-Goulets, dans la région des Barraques en Vercors, au lieu-dit «le Refuge», il fut chef de groupe-franc durant les attaques des divisions allemandes sur le Vercors en août 1944.

Plusieurs opérations contre les colonnes ennemies seront menées à bien sous sa conduite. Mais il servit aussi comme aumônier du Vercors. Ce fait n'avait rien de particulier, le Vercors comptant d'autres aumôniers connus comme Dom Guetet, le RP de Montcheuil, le père Chambre et l'abbé Vincent. L'abbé Magnet pourtant, ne fut pas à proprement parler aumônier, l'évêque lui ayant refusé l'autorisation de partir au maquis, lorsqu'il fut recherché, Monseigneur Pic aurait préféré le placer en lieu sûr, comme aumônier dans un couvent.

De nombreux heurts se produisirent entre eux; mais l'abbé décida de passer outre et de rejoindre le maquis.

Les formes de Résistance auxquelles les ecclésiastiques participèrent ont représenté différents types d'engagement suivant les dates et les hommes qui s'y engagèrent.

Devant cette question importante, le pape allait prendre une décision à la suite d'une lettre du cardinal Tisserand du 2 juin 1944, posant la question de l'assistance spirituelle aux hommes du maquis. Une réponse favorable fut donnée venant entériner une situation et un fait existant depuis quelque temps déjà.

L'abbé Georges Magnet, rescapé du Vercors fut tué dans une embuscade lors de l'entrée des FFI à Bourg-de-Péage le 27 août 1944.

*

Un caractère

Sous l'habit du prêtre, du philosophe et de l'humaniste, cet homme débonnaire, intelligent et corpulent cachait une volonté farouche pour défendre son idéal et combattre la haine, l'injustice, la guerre, la violence et par-dessus tout le nazisme qu'il ne pouvait plus supporter.

Devenu maquisard dans le Vercors, il est mort pour la France les armes à la main le 27 août 1944.  (Source : R.P. René Martin, neveu de l'abbé Magnet.]

*

Le voilà dans sa cure de la Bâtie en tête à tête avec deux étranges personnages «vous pourriez peut-être nous faire entrer au maquis ???» L'abbé tergiversa et leur demanda d'aller le voir un peu plus tard dans son église.

Des enfants vinrent alors le prévenir qu'ils avaient vu une voiture arrêtée et dissimulée sur le bord de la route[1].

Le prêtre embrassa sa vieille maman, alla dans son église, prit les hosties consacrées qu'il voulait soustraire au risque de profanation.

… on ne le revit plus ! (R. P. Martin.)

[1] Sûrement des membres de la Gestapo venus pour l'arrêter.

[1] Georges Magnet n'a jamais eu le statut d'aumônier du Vercors.

[2] Il est mort à la libération de Bourg-de-Péage.

*

Autres extraits :

«Georges Magnet, curé de la Bâtie, de Portes, de Rochefort, licencié en théologie, estimé de tous ses paroissiens et de toute personne l'ayant approché «suspens a divinis» : privé de pouvoir sacerdotal par son évêque, laisse sa vieille mère écrasée de souci et d'angoisse.

«Après avoir échappé à des embuscades tendues par la Gestapo, elle-même aidée par des collaborateurs, refusant le camouflage tranquille à Dieulefit, laissant, la douleur dans l'âme toutes ses activités de résistant et de chef de réseau, part pour le maquis de Vercors en 1944. Mobilisé en 1939, il est fait prisonnier après avoir secouru un blessé très gravement touché. Après quelques mois de captivité avec notamment Jean Baptiste Jenner et André Malraux, il choisit l'évasion entre autres avec André Malraux, venu le retrouver, ici, quelques temps après leur évasion.

*

André Malraux et l'abbé Georges Magnet. Témoignage du Chanoine Vignon, curé-archiprêtre de St-Vallier.

En novembre 1939, André Malraux est admis dans une unité de chars de combats, il est très légèrement blessé le 15 juin et il est fait prisonnier le 16.

Il est affecté dans une ferme. Fin septembre les Allemands ont décidé de rendre la liberté à quelques écrivains.

Avec l'aide de son demi-frère Roland, il s'évade en compagnie de l'abbé Magnet (lui-même par un pur hasard prisonnier dans cette ferme) qui lui offre l'hospitalité chez lui à la Bâtie-Rolland, dans la Drôme, village dont il est le curé.

André Malraux me paraît être de ceux, plutôt rares, qui sont fidèles dans leurs amitiés. C'est ainsi que, sans le nommer, il évoque dans son livre Les Antimémoires le souvenir d'un prêtre de chez nous, il relate la visite qu'il fit à son compagnon d'évasion dans son village et rapporte une de leurs conversations avec celui qui fut mon condisciple au grand séminaire et, jusqu'au bout, mon ami.


Télécharger tous les extraits.