Article n° 6, avril 2018 • Walid Saket : «Baudelaire : de la conscience dans le mal au rachat par l’art»

Walid SAKET, docteur en Littérature et Civilisation Françaises et professeur à l'université de Jendouba (Tunisie)

 

Charles Baudelaire :  De La Conscience dans le Mal au Rachat par l'Art

 

Baudelaire est, peut-être, le poète le plus problématique des temps modernes. L'amour qu'il vouait aux contradictions, aux paradoxes et aux dualités antithétiques a comme origine la complexité de de son tempérement artistique. Un poète comme lui, souffrant constamment du tiraillement de son âme entre le Spleen et l'Idéal, le Mal et le Bien, la soif de la spiritualité et le blasphème, ne pouvait jamais apprécier les lignes droites et géométriques des produits du progrès technique réalisé par l'homme moderne et entamé avec la Révolution industrielle. Comme le dit Antoine de Compagnon : « L'époque venait d'inventer l'avenir, mais Baudelaire lui tourne le dos : l'idée est ressassée sous toutes ses formes. Sartre en titre la conclusion que le temps baudelairien, comme la spiritualité baudelairienne, sidentifient au passé […] La proposition se déduit de la haine qu'a Baudelaire du progrès : le rapport du présent au passé, c'est le progrès à rebours. Baudelaire se contenterait ainsi d'inverser le finalisme impliqué par la notion de progrès. Après le poncif du Baudelaire moderne, on retrouve à peu de chose près, comme son envers, l'explication de Baudelaire par la décadence, proposée depuis Gautier».

A notre avis, il y a aussi une autre cause de la haine qu'éprouve Baudelaire envers le progrès. En fait, s'il a des réserves à l'égard de ce progrès, c'est parce nul penseur avant lui n'a pu comprendre l'engouement immodéré de l'homme pour le Mal et l'amour de la matière. Comment pourrait-il faire confiance aux temps des machines lui qui a trouvé des confirmations à son pessimisme et sa méfiance chez un ami voire un frère de pensée qui a tant souffert du matérialisme aux Etats-Unis à savoir Edgar Allan Poe ? Les deux artistes avaient des pensées avant-gardistes concernant l'art moderne et en quelque sorte ils avaient prévu la crise de valeurs que vivrait ultérieurement le monde moderne. Baudelaire disait dans ses Journaux Intimes : « Quoi de plus absurde que le Progrès, puisque l'homme, comme cela est prouvé par le fait journalier, est toujours semblable et égal à l'homme, c'est–à- dire à l'état sauvage ! Qu'est-ce que les périls de la forêt et de la prairie auprès des chocs des civilisations ? Que l'homme enlace sa dupe sur le boulevard, ou perce sa proie dans des forêts inconnues, n'est-il pas l'homme éternel, c'est-à-dire l'animal de proie le plus parfait ?» L'auteur des Fleurs du Mal songe toujours à l'irrémédiable péché originel et à sa présence fatale à travers les âges. « La nature entière participe du péché originel» et l'élimination de l'idée du péché orininel serait, d'après Antoine de Compagnon « aux yeux de Baudelaire la grande hérésie moderne ; l'idée d'un homme naturellement bon est la source de l'idéologie du progrès indéfini [ …] L'homme éternel à “la frivolité éternelle” est l'homme déchu, en ce sens naturel et aveugle au péché originel. On est en droit de parler de Jansénisme». Ce « jansénisme » se manifeste dans le pessimisme baudelairien flagrant que rien ne n'efface sauf l'art.

 

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