Françoise Theillou

Je pense à votre destin. André Malraux et Josette Clotis. 1933-1944

Grasset, 2023

Compte rendu

D'aucuns croient qu'on a tout dit sur Malraux. C'est une erreur. Des publications récentes ont apporté un éclairage nouveau sur le raid au Yémen (Walter G. Langlois), les séjours sur la Côte d'Azur durant la guerre (Joël Haxaire), les voyages en Afghanistan (Régis Koetschet). Aujourd'hui c'est l'historienne Françoise Theillou qui propose un nouveau portrait de Malraux en compagnie de Josette Clotis durant les années 1933-1944. Bien que les archives consultées par Françoise Theillou soient assez semblables à celles qui a permis le magnifique livre de Suzanne Chantal (Le Cœur battant, 1976), ce n'est pas du tout la même perspective historique et littéraire qu'offre Je pense à votre destin. André Malraux et Josette Clotis, 1933-1944, tout récemment publié chez Grasset.

Pour deux raisons. La première tient aux choix de l'historienne. Les lettres de Malraux et le « Cahier de brouillon inédit d'André Malraux » établissent de la clarté dans la pléthore de lettres transcrites par Chantal : clarté de la relation entre l'amant et sa maîtresse : « Vous me parlez de huit lettres. J'en ai reçu une, celle où vous avez mal à la jambe[1]. » – « Je n'ai aucune envie d'écrire sur votre ton[2]. » – « Les choses pratiques, je les fais[3]. » (Sous-entendu : je ne les rapporte pas.)

Le pendant du portrait de Malraux est celui de Josette. Les « Fragments inédits de papiers personnels de Josette Clotis » la rétablissent dans son droit de vivre comme une « midinette » (selon le mot de Clara Malraux) : « Quelque mal que pense une femme d'un homme, elle ne peut pas s'empêcher d'être émue par lui quand il éjacule[4]. » – « […] ce démoniaque dont la non-homosexualité n'est pas encore prouvée[5].» Les deux portraits, qu'on voudrait complémentaires, sont totalement asymétriques.

L'ensemble de ces documents historiques et littéraires est précieux. Même si l'on savait que Malraux ne mène ni grandes réflexions ni confidences personnelles dans ses lettres, ceux-là, tout imprégnés des relations entre les deux amants, nous montrent un écrivain prêt à de nombreuses concessions et éclairent une période finalement peu connue de sa vie. Le fragment Guerre, écrit pour Les Noyers de l'Altenburg, s'il ne révolutionne pas notre connaissance du roman, apporte des renseignements étonnants (la visite de Beaulieu-sur-Dordogne, par exemple).

La deuxième raison est liée au travail de la biographie du couple André-Josette. Dans ce domaine aussi, Françoise Theillou propose quelque chose de nouveau. Elle aurait pu se contenter d'une sorte de compilation des grandes biographies (Lacouture, Payne, Todd) pour les années qui l'intéressent. C'est tout le contraire : elle les surpasse en terme de précision. Là où nous avions des hésitations, elle apporte l'information ad hoc, mêlée à un récit homogène, littéraire et agréable à suivre. En dépit des très menues erreurs qu'on y constate, le livre de Françoise Theillou va devenir la référence malrucienne pour les années concernées.

Nous avons parlé de qualité littéraire qui est la plus difficile à pratiquer. Lisez donc ces trois exemples : « Quelle ironie dans le télégraphique ÉCHEC VOCIFÉRANT[6]. » – « Ce qu'elle mesure rapidement, en revanche, c'est qu'à peine possédée elle est dépossédée de l'homme qu'elle veut posséder[7]. » La Condition humaine, « ce roman du surhumain et de l'anti-destin a d'un seul coup imposé Malraux[8]. »

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L'historienne Françoise Theillou a publié un très remarquable «beau livre», Paris, dômes sacrés du Grand Siècle (2008). Spécialiste des Écrits sur l'art de Malraux, elle a donné à Présence d'André Malraux sur la Toile, la revue de malraux.org, une dizaine d'articles concernant la création artistique. Mais comme toute l'œuvre de Malraux l'intéresse, d'autres articles sur d'autres aspects de notre auteur ont aussi été mis en ligne. Non moins remarquables. D'ailleurs la survie de PAMT lui doit beaucoup.

Françoise Theillou a publié aussi Malraux à Boulogne. La Maison du Musée Imaginaire, 1945-1962(2009) qui, selon la logique des dates et de la biographie, complète Je pense à votre destin. Françoise Theillou est aussi l'auteure d'une œuvre autobiographique des plus singulières.

c.p.

 

[1] Françoise Theillou, Je pense à votre destin. André Malraux et Josette Clotis, 1933-1944, Paris, Grasset, 2013, p. 193.

[2] Ibid., p. 175.

[3] Ibid., p. 173.

[4] Ibid., p. 131.

[5] Ibid., p. 127. Josette doit se méprendre sur le sens de la « fraternité virile ».

[6] Ibid., p. 154.

[7] Ibid., p. 33.

[8] Ibid.