Le sergent Bobillot

Le Miroir des limbes, (Pléiade III, 1976), I, IV, 1, p. 303. Evocation de Saïgon. «Je sais : l’heure verte à la terrasse du Continental, le soir sur les caroubiers, les casques du sergent Bobillot, les dominos du mah-jong sur la musique miaulante de Cholon, les victorias et leurs grelots rue Catinat, le petit billard furieux des bouliers chinois, l’extinction des feux dans les casernes des tirailleurs sénégalais…» (P. 303.)

«La transformation de l’Asie m’aura bouleversé autant que celle d’un visage aimé; le pays que j’ai le mieux connu jadis, dont j’ai le plus souhaité l’indépendance : l’Indochine, je ne le reverrai pas. Le romanesque colonial, Mayrena, les personnages de Clappique, la piastre, les autos à la place des calèches, les caroubiers de la rue Catinat, le boulevard Charner vide à midi dans l’imperturbable soleil, les casque du sergent Bobillot, la guerre… (P. 334.)

 

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«Le monument du sergent Bobillot», Le Journal illustré, 8 juillet 1888, n° 28, p. 218-219.

 

Un jeune héros

Tous les journaux publièrent en 1885 une lettre adressée au colonel Faure, du 4e régiment du génie, par le commandant Sorel, chef du génie du corps expéditionnaire du Tonkin, relatant la conduite héroïque du sergent Bobillot, lequel, avec une poignée de braves (onze hommes), avait exécuté autour de Tuyen-Quan des ouvrages de campagne qui ont assuré le salut de la petite garnison.

Le sergent Bobillot, blessé grièvement, avait été porté à l'ordre du jour et proposé pour la croix d'honneur. Le brave est mort le 18 mars 1885 à l'hôpital de Hanoï des suites de sa blessure, sans avoir reçu la récompense qu'il avait si glorieusement méritée. Ce sergent avait été blessé grièvement à Tuyen-Quan, le 8 février, dans des circonstances particulièrement dramatiques : sous sa conduite, onze hommes exécutaient un ouvrage souterrain destiné à combattre l'efficacité des travaux déjà très avancés de l'armée chinoise; le sapeur Couzi, ainsi que le sergent qui le suivait, travaillaient depuis quelques heures déjà dans un rameau de contre-mine quand, soudain, ils se trouvèrent nez à nez avec l'ennemi : d'un coup de pioche, le sapeur fendit la tête du premier Chinois qui se trouvait à sa portée; la riposte ne se fit pas attendre : huit coups de revolver furent tirés à bout portant sur nos deux soldats, une balle atteignit le sergent à l'épaule droite et sortit par l'épaule gauche en lui brisant deux vertèbres, tandis que le sapeur Couzi sortait sain et sauf de la mine.

Le sergent Bobillot fut transporté à l'ambulance. Sa blessure était très grave; néanmoins, on ne désespérait pas de le sauver et, en effet, quelques jours après, un mieux sensible s'était produit, le 3 mars, lorsque la brigade Giovanelli vint délivrer Tuyen-Quan, sa guérison parut certaine; il put même supporter le transport, à dos de mulet, de Tuyen-Quan à Hanoï et le 16 mars Bobillot envoyait encore une dépêche à sa famille lui assurant sa guérison probable et son retour prochain. Le lendemain, sa blessure s'étant rouverte, il fut pris d'une fièvre violente : tous les soins furent inutiles et le 18 mars il mourut après avoir fait, par son courage, jusqu'au dernier moment, l'admiration de ses chefs et de ses camarades.


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