E/1967.03.09 — André Malraux : «De la Française, de la culture, des hommes», entretien avec Fanny Deschamps pour «Elle»

«André Malraux : de la Française, de la culture, des hommes… Fanny Deschamps l'écoutait», entretien accordé à Fanny Deschamps, Elle [Paris], n° 1107, 9 mars 1967, p. 106-111 et 175.


 

André Malraux

De la Française, de la culture, des hommes

 


 

 

Extrait :

Fanny Deschamps. – Personnellement, je vous laisserais les Affaires culturelles. Je crois que les femmes vous les laisseraient.

André Malraux. — Elles auraient raison, puisque c'est mon ministère qui me possède. J'ai voué ma vie à cette tâche. Je viens seulement de me permettre de recommencer à écrire. (Ses Mémoires.) Je voudrais mourir content. (Il explique doucement, d'une voix… d'une voix pâle, presque tendre : « Si je peux me dire, en mourant, qu'il y a cinq cent mille jeunes de plus ont vu s'ouvrir, grâce à mon action, une fenêtre par où ils échapperont à la dureté de la technique, à l'agressivité de la publicité, au besoin de faire toujours plus d'argent pour leur loisirs dont la plupart sont vulgaires ou violents, si je peux me dire cela, je mourrai content, je vous assure… Cinq cent mille de plus «dans le coup», ce serait déjà un beau chiffre. Je ne peux pas infliger la joie d'aimer l'art à tout le monde. Je peux seulement essayer de l'offrir, la mettre à disposition pour que, à ceux qui la demanderont, elle soit donnée.»

FD. — Comment mettrez-vous la culture et l'art à disposition de tous sans le secours de la télévision ? Je l'ai dit à M. Pompidou : que le ministre des Affaires culturelles me paraît inimaginable en pays dit cartésien !

AM. — Tôt ou tard, la culture sera diffusée surtout par la télévision, moyen démocratique par excellence. Le seul qui permettra ce que je souhaite : l'imprégnation artistique des enfants de douze ans, l'âge des empreintes indélébiles. L'Etat ne pourra continuer de dépenser des millions pour les maisons de la Culture en laissant en friche un instrument plus économique et incomparable plus puissant. Jamais l'effort gigantesque accompli par Jules Ferry en faveur de l'instruction primaire n'a été accompli dans le domaine de l'éducation artistique. Louis-Philippe avait 65 % d'illettrés. Nous avons un plus fort pourcentage d'illettrés de l'art.

FD. — Si le ministère de l'Education nationale vous demandait de vous intéresser à la formation artistique dans les écoles, auriez-vous le temps de le faire ?

AM. — Je ferai tout ce qu'on me permettra de faire pour démocratiser le goût des loisirs de qualité. En définitive, c'est de cela qu'il s'agit, D'ailleurs, entre nous, il m'arrive de voir une émission que j'ai «soufflée». J'ai quelques relations bien placées. Et avec un peu de persévérance…

 

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fanny_deschamps

Fanny Deschamps en mars 1985