E/1973.07.16 — André Malraux : «Entretien avec André Malraux : l'art est le seul rival de la religion», entretien accordé à Pierre Yves Leprince, Les Nouvelles littéraires [Paris], n° 2390, 16-23 juillet 1973, p. 14.
André Malraux
Entretien avec André Malraux : L'art est le seul rival de la religion
P.Y. Leprince — Quand j'avais 16 ans, j'ai lu sans tout comprendre – cela va sans dire – La Métamorphose des dieux, il y avait marqué à la fin : Fin du 1er tome; j'attendais donc un 2ème tome, et puis, vous avez donné, par exemple, les Antimémoires, c'est-à-dire un autre courant de votre œuvre. Qu'allez-vous décider à présent ?
Malraux — C'est tout à fait simple, le tome II de La Métamorphose des dieux paraît cette année. Pourquoi ? Parce que ces ouvrages réclament 2 ou 3 ans de travail pour l'éditeur. Les éditeurs ne font pas ces bouquins-là par tome, ils font l'ensemble. La Métamorphose, rassemble quelque chose comme 400 photos en couleurs. Le tirage initial est, en moyenne, de 100.000; il faut donc 100.000 couleurs, c'est-à-dire, au minimum, 400.000 ou 500.000 planches. C'est un immense travail, voilà tout.
P.Y. Leprince — Donc, ce second tome existe…
Malraux — Intégralement, il existe en bon à tirer, mais depuis 18 mois.
P.Y. Leprince — En fin de La Métamorphose, vous terminez sur Vénus, sur Botticelli. Vous couvrez quelle période dans le second tome ?
Malraux — Je pense que je m'arrête à Rembrandt, le problème étant le suivant : qu'est-ce que signifiait la peinture, quand elle signifiait une sorte de transfiguration. Et puis après, il y aura la peinture du XVIIIe; même des gens qui ne sont pas des spécialistes savent très bien que Watteau qui et un génie – ou Fragonard qui l'est moins – est un grand peintre, mais ce n'est pas Rembrandt, ce sera le tome 3, disons de Rembrandt à Delacroix; le tome 4, c'est de Delacroix à nous. Je ne crois pas au romantisme en peinture. Delacroix est un très grand peintre, mais ce n'est pas un homme qui s'est trouvé – après tout comme Picasso – dans une transformation de la peinture. On dit qu'il représente le monde de la peinture moderne, mais en face de lui, Ingres, à mon avis, c'est la même chose. Ingres est obsédé par le monde romain, Delacroix est obsédé par le monde vénitien.
Panthéon : Antoine-Jean Gros