Salpêtrière (l’hôpital et la chapelle Saint-Louis, l’hospitalisation de Malraux en 1972)

La chapelle Saint-Louis

« Voici la Salpêtrière, le dôme en as de pique de la chapelle» (Lazare). La voiture de l'écrivain frappé d'une grave maladie neurologique dont il va peut-être mourir franchit le porche de l'ancien Hôpital Général fondé par Louis XIV. Sans cet épisode, Malraux n'aurait sans doute jamais évoqué cet élément architectural du paysage parisien qu'une image farfelue disqualifie aussitôt. La chapelle de la Salpêtrière est attifée « comme un as de pique », coiffée n'importe comment. Il ajoute un peu plus loin que ladite chapelle est, du moins lui semble-t-il, « désaffectée ». Autrement dit : plus inélégant et plus obsolète que le baroque, on ne saurait. Quant à la métonymie de « l'as de pique », pourtant bien sympathique, en admettant qu'elle s'applique au dessin formé par les pans renflés du dôme, on conviendra qu'elle exige un sérieux effort d'imagination.

Ouvrons les Voix du silence : «Ici commence la pieuse fête jésuite », écrit son auteur pour aborder l'art de la Contre-Réforme, et encore : « Le geste baroque soumet l'art à l'illusion…d'où le caractère furieusement profane de cet art qui se voulait religieux ». Sauf le dôme de Saint-Pierre réalisé par Michel-Ange qui « connaissait le tremblement royal des mains qui ordonnent les secrets du cosmos selon des formes gouvernées », tous les autres pour Malraux obéissent à l'illusionnisme de l'architecture jésuite, style « privé d'âme », vulgarisation de l'art. Exit la ridicule calotte de la Salpêtrière.

La distance qu'installe d'emblée Malraux entre le dôme de la Salpêtrière et celui de Saint-Pierre annonce le « Je-sans-moi », ce sentiment indéfinissable et jusqu'ici ignoré de son éventuel « trépas », au regard de « La Mort ». Un écart, nourri de tout ce qui l'entoure, et bientôt de maintes synesthésies qui donnent à Lazare son étrange et si poignante poésie : le pas de l'infirmière dans le couloir « qui se mêle aux ventouses des pieds nus sur les dalles de véranda pendant la saison des pluies » dans la nuit de Singapour, « Roquebrune, le bruit des petits sabots de [s]on fils dans le jardin aux arbres de Judée en fleur(et je pensais que j'entendrais ainsi les battements de mon cœur quand je mourrais), «les plaintes de la Salpêtrière répondant à celles du préau de Shangaï » où attendent les condamnés à mort de La Condition humaine. Et puis, le souvenir de Napoléon : « Le courage le plus pénible est celui de trois heures du matin ».

 

L’hospitalisation de Malraux à la Salpêtrière

Malraux, dans l'incipit de Lazare parle d' «une maladie du sommeil», qui l'aurait conduit à la «Salpêtrière», établissement spécialisé dans le traitement des maladies neurologiques. Vérité intangible de l'artiste : «Lazare» est affecté, peut-être comme Nerval, d'une maladie du songe que vient immédiatement connoter, dans l'esprit du lecteur, l'exotisme de l'Afrique.

La prose de son mal, c'est une polynévrite d'origine alcoolique qui se traduit par «une sclérose des nerfs périphériques». Il l'évoque quelques lignes plus bas, en termes scientifiques cette fois. Ses symptômes et les risques encourus par celui qui en est atteint sont aussi parfaitement décrits tout au long du récit.

Lazare ne saurait ressusciter d'un coma éthylique.

L'hospitalisation de Malraux  à la Salpêtrière dura exactement 4 semaines. Il y entra d'urgence le jeudi 19 octobre 1972 et en sortit guéri le jeudi 16 novembre.

 

L’hôpital de «La Salpêtrière»

Avec l'Arrêt de renfermement des pauvres du 7 mai 1657, Louis XIV invente le concept d' «Hôpital Général» une manière de purger, sous couvert de charité, le royaume de tous ses exclus. La Salpêtrière, ancien arsenal de Louis XIII en déshérence, située hors-les-murs, de l'autre côté de la Seine, dans une zone en friche, offre d'emblée un emplacement et des locaux propres à la réalisation du projet royal. Elle devient rapidement trop exigüe et le roi confie à son architecte Le Vau le soin de reconstruire la chapelle (cœur de toute institution collective sous l'Ancien Régime, à plus forte raison hospitalière) au centre d'un espace carroyé de cours. Jeunes, vieux, hommes, femmes, estropiés, prostituées, délinquants, «folles» en nombre (les «fous» sont à Bicêtre), sont ainsi confinés dans des espaces étanches. La chapelle, immense, avec ses nefs qui ne communiquent pas sous la coupole compartimentée, reproduit cet isolement catégoriel.

Le philosophe Michel Foucault trouvera dans cette institution concentrationnaire étatique où prolifère la maladie mentale un terrain privilégié d'étude pour son Histoire de la folie à l'âge classique. Le Siècle des Lumières tirera les «folles» de la Salpêtrière de leurs immondes cachots et s'intéressera scientifiquement à leur mal. Quelque cent ans plus tard, celle-ci deviendra grâce à Jean Martin Charcot, le temple de la neurologie et de la psychiatrie naissante (Sigmund Freud gardera précieusement en mémoire les célèbres leçons du professeur parisien).

Du point de vue de l'architecture de la capitale, elle constitue un spécimen unique d'architecture baroque fonctionnelle inspirée des ensembles conventuels «à dôme», caractéristiques du «jeune dix-septième siècle».

 

François Theillou, janvier 2010

© www.malraux.org / 2010

 

salpetriere

« Vue frontale de la Salpêtrière : le porche, le logis du gouverneur, le dôme de la chapelle ».

 Photo de l'entrée de la Salpêtrière par J.-P. Delagarde,
p. 130 de Paris, Dômes sacrés du Grand Siècle

 

 

Eléments bibliographiques 

André Malraux, Lazare, in Le Miroir des limbes, Œuvres complètes, t. III, Paris, Gallimard, 1996, («Bibliothèque de la Pléiade»). 

Françoise Theillou, Paris, Dômes sacrés du Grand Siècle, Editions du Patrimoine, 2008.

 

On peut télécharger ici l’article de Françoise Theillou.

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