Image of E/1993.10-11 — Olivier Germain-Thomas : «Préparez-vous à l'imprévisible ! André Malraux n'aurait jamais dit : “Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas.” Mais…», «Nouvelles clés», octobre-novembre 1993, n° 31, p. 56-58. Entretien avec Malraux.

E/1993.10-11 — Olivier Germain-Thomas : «Préparez-vous à l'imprévisible ! André Malraux n'aurait jamais dit : “Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas.” Mais…», «Nouvelles clés», octobre-novembre 1993, n° 31, p. 56-58. Entretien avec Malraux.

Déclarations de Malraux :

«Si le prochain siècle devait connaître une révolution spirituelle, ce que je considère comme parfaitement possible – probable ou pas n'a pas d'intérêt, ce sont des prédictions de sorcier – je crois que cette spiritualité serait du domaine de ce que nous pressentons sans le connaître, comme le XVIIIe a pressenti l'électricité avec le paratonnerre. Autrement dit, il y a un domaine spirituel d'irrationnel dont nous avons pris maintenant extrêmement conscience. Chez vous ce sera avant tout le zen.

«Ce domaine n'a pas du tout été étudié au XIXe siècle; le XIXe siècle a été rationaliste, il a pris tout cela sous forme de superstition. Il n'y a pas de véritable histoire des religions comparées : ce n'est pas sérieux. Que pourrait donner un nouveau fait spirituel – disons si vous voulez : religieux, mais j'aime mieux le mot spirituel – vraiment considérable ? Mais il se passerait évidemment ce qui s'est passé avec la science. C'est-à-dire que tout notre passé resurgirait avec une étude extrêmement attentive des mouvements spirituels qui ont eu lieu autrefois et qui, en fait, ne sont pas du tout étudiés à l'heure actuelle sur le plan spirituel».

La même année, il disait à Guy Suarès[1] : «Jamais un changement profond dans le domaine spirituel n'a eu réellement d'antécédent prévisible. Personne n'avait prévu le bouddhisme, personne n'avait prévu l'islam. Il est probable que les révolutions dans le domaine de l'esprit portent dans leur nature d'être des surgissements, et tout le passé se métamorphose.» A l'époque, il me recevait à Verrières[2] : «Mais notre histoire est orientée, dans le monde entier, par une valeur sur laquelle les autres passent comme des nuages. C'est évidemment la science. Non sans remous. Il y a cent ans, on disait : «Nous ne résoudrons pas les questions essentielles, mais le XXe le fera.» On vivait dans une kermesse future : «La science va tout nous apporter.»

«Maintenant c'est fini : on ne croit pas que la science du XXIe siècle réglera tout. Nous avons découvert que la science a aussi un passif. Pour un homme aussi intelligent que Renan, la science n'en avait pas. Nous, nous avons vu la pénicilline et la bombe atomique; nous savons que, pour la première fois, une espèce peut détruite la terre. En gros, nous vivons dans une civilisation qui nous apporte une puissance telle que l'homme n'en a jamais connue, et qui fait de la science une sorte – nouvelle – de valeur suprême. Le drame, c'est que nous savons cette valeur incapable de former un type humain.

«Alors, en attendant, ce sera le temps des limbes, jusqu'à l'époque où quelque chose de sérieux resurgira : ou bien un nouveau type humain, ou bien un nouveau fait religieux, ou bien… quelque chose de totalement imprévisible. La libre disposition de la mort, par exemple.

«Que la science ait été assez forte pour détruire l'humanité, mais non pour former un homme, nous le savons. C'est sans doute le drame de notre époque.» 

Malraux me raccompagne jusqu'à la porte, sourit, lève les doigts comme un saint Jean-Baptiste, dit : «Préparez-vous à l'imprévisible.»

[1] Entretien diffusé sur France Culture.

[2] Extrait de : Les réalités et les comédies du monde, publié dans L'Appel n° 13, janvier 1975. L'entretien a été entièrement revu par Malraux.


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