Buce Chatwin : «André Malraux», 1989

En 1974, le grand écrivain-voyageur britannique Bruce Chatwin est reçu par Malraux à Verrières-le-Buisson. La conversation est enregistrée et publiée en 1989 à partir des bandes magnétiques. On la trouve en effet dans l’ouvrage posthume de Chatwin What am I doing here  qui sera traduit en français en 1991 sous le titre Qu’est-ce que je fais là ?, accompagnée d’un très original portrait de Malraux par l’auteur.
 

 

1. Le portrait

 

«Son alliance avec le Général étonnait les gens de toutes opinions, de la droite comme de la gauche, et devait probablement les étonner eux-mêmes. Mais les deux hommes avaient beaucoup en commun. / Tous les deux étaient des intellectuels et des aventuriers avec le goût de la gloire militaire, même si les ambitions de Malraux étaient à une échelle différence. Ils étaient fascinés par l'exercice du pouvoir et par le rôle du héros archétype qui sauve son pays ; ils partageaient également l'idée du renouveau national par la catastrophe. Ils savouraient les délices de la langue française ; l'hyperbole était leur forme d'expression naturelle. Ils étaient détachés des valeurs de leur classe et méprisaient les politiciens et les industriels. Sans tenter de pénétrer dans leur univers, ils sympathisaient avec les difficultés des travailleurs pris au piège de la civilisation mécanique du XXe siècle. Mais ils ne se laissaient pas aller à exagérer naïvement l'importance de la lutte des classes au détriment de l'unité nationale et pensaient que la justice sociale s'obtient plus aisément dans une nation bien affirmée. Malraux a demandé un jour à Sartre : “Le prolétariat ? Qu'est-ce que le prolétariat ?”» (P. 110-110.)

«Les “difficultés” de Malraux ont amené un jour Cocteau à lancer cette boutade : “Avez-vous entendu parler d'un humain qui ait lu La Condition humaine ?” Dans les traductions l'écriture de Malraux subit un changement profond. Sa rhétorique très appuyée, magnifique en français, est inacceptable en anglais.» (P. 112.)

«Malraux est seul. Il ne peut pas avoir de disciples. Il ne s'est jamais permis le luxe d'une croyance politique ou religieuse définitive, et il est trop remuant pour accepter la discipline de la vie universitaire. Il est inclassable, ce qui dans un monde de –ismes et de –logies est également impardonnable. » (P. 113)

 

2. L’entretien

 

Sur de Gaulle et la Grande-Bretagne

«Et quand Churchill lui a dit : “Entre Roosevelt et vous, je choisirai toujours Roosevelt”, on a cru qu'il était mécontent parce que cela voulait dire : “Je ne vous choisirai pas”. Ce n'était pas cela du tout. Il était stupéfait ! Parce qu'il avait le sentiment que c'était la voix de l'Angleterre qui disait pour la première fois : “Je ne suis plus la première puissance du monde.”» (P. 118.)

Sur le Général et Mao Zedong

«Cela m'avait frappé avec Mao Tsé-toung, parce que, à un moment de la conversation, je me suis aperçu qu'il connaissait bien mieux le général de Gaulle que la France. C'est tout juste s'il ne mettait pas la France en Sicile ! Alors je lui ai demandé : “Pourquoi attachez-vous tant d'importance au général de Gaulle ?” Il m'a répondu : “Parce que c'est un homme comme moi. Il a sauvé son pays.” C'est bizarre, parce que Mao savait très bien que le Général n'était pas marxiste. Mais il y avait en quelque sorte le côté transcendant, le héros qui sauve le pays.» (P. 120.)

Sur la «légitimité de la marge»

«La France est un pays dans lequel des notions artistiques sont toujours en marge. Je n'aurais jamais pu faire ce que j'ai fait aux Affaires étrangères, Dans ce pays, et c'est une excellente chose, on a le vieux respect (qui n'existe pas en Angleterre) des hommes de pensée qui sont censés avoir fait la Révolution, Voltaire, Rousseau… Il y a donc une sorte de légitimité de l'art qui est en marge.» (P. 122-123.)

 

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