En 1934, André Malraux peut se prévaloir d’une renommée d’aventurier hors pair et d’une réputation de romancier bien établie. À 33 ans, savourant la gloire du prestigieux prix Goncourt qui lui a été décerné pour son roman La Condition humaine, il décide d’entreprendre un étonnant voyage dans les Empires du soleil, à la recherche des vestiges de Mareb, antique capitale du royaume de la reine de Saba, situés dans le désert septentrional de l’actuel Yémen. Héritière d’un passé fort lointain, cette région mythique est présente depuis la nuit des temps dans la mémoire collective. Elle représente un carrefour privilégié, à cinq mille kilomètres de la France, des mondes du Moyen-Orient, de l’Asie et de l’Afrique.
Africaine, arabe, juive, chrétienne, l’antique reine de Saba, femme aux noms multiples et aux mystères insondables, a traversé les siècles. Une telle figure ne pouvait échapper à un infatigable pisteur de l'extrême et des confins, doublé d'un amateur de musées de la trempe de Malraux qui fut dès sa prime jeunesse fasciné par l'étrangeté des civilisations lointaines ou disparues. Ses pérégrinations indochinoises en 1924-25 et ses aventures « archéologiques » au Pamir en 1932 en témoignent. L'intérêt de Malraux pour cette région qui fut traversée durant des siècles par la route des épices empruntée par les caravanes de chameaux qui transportaient les richesses de l'Orient vers les empires situés sur les rives de la Méditerranée n'est pas récent. Il se souvient avoir cherché, adolescent, les villes romanesques dans le Bottin de l'Étranger et évoque « le sourd travail en [lui] de Saba ». En 1928 paraît dans le numéro 17 de la revue Commerce la « Lettre du Prestre Jehan à l'empereur de Rome ». Une courte préface signée Malraux rappelle que ce roi chrétien et Négus d'Abyssinie, était l'un des émirs légendaires qui vivaient au-delà de la route de la soie, dans une contrée merveilleuse qu'on situe généralement sur l'autre rive de la mer Rouge.
Il est à noter d'emblée que Malraux est dans la position d’un vrai reporter qui va écrire dans l’urgence, au galop et sur commande. Il doit respecter les effets d’agenda. L’élément matériel n’est donc pas absent dans la réalisation de son reportage. En effet, il décide de découvrir ce qu'aucun européen, disait-il, n'avait pu contempler depuis deux mille ans, au cours d’une expédition géographique à sensation, organisée et financée (« sponsorisée », dira-t-on aujourd’hui) par le plus grand quotidien parisien du soir de l’époque, L’Intransigeant, moyennant l’exclusivité du reportage (textes et photographies). Pour mettre à exécution sa mission d'exploration, il affrète un avion que pilotera l'aviateur et futur général Édouard Corniglion-Moliniee, « ravi », écrivait-il, « de piloter un des rares hommes remarquables de sa génération, surtout pour une mission si spéciale. »
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© Présence d’André Malraux sur la Toile / www.malraux.org, 2 juin 2011
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