L'image de Malraux ou plutôt l' « icône » qui s'impose à la mémoire collective, c'est la photo de Gisèle Freund lorsqu'elle immortalise l'écrivain, mèche au vent, Camel aux lèvres, son trench jeté sur les épaules. Elle vaut pour le romancier de L'Espoir et l'aventurier, le combattant et l'inlassable orpailleur des richesses du monde. Rupture et métamorphose, le Malraux des lendemains de la guerre présente une tout autre physionomie. L'« Hôte de passage », pour reprendre une expression qui lui appartient, avec son rasoir, son révolver, ses cigarettes et son stylo pour tout bagage, voici qu'il se sédentarise.
Etrangement, que Malraux ait vécu et créé à Boulogne, exégètes de son œuvre, lecteurs, boulonnais même, il en est bien peu qui le sachent. Cette saison de l'écrivain, 17 années quasi inédites (de 1945 à 1962) n'aura pourtant été ni la moins surprenante, ni la moins féconde, ni la moins fiévreuse de sa vie d'homme et d'artiste.
C'est en juin 1945, très peu après la Libération donc, qu'il vient s'installer 19bis avenue Victor Hugo (aujourd'hui avenue Robert Schumann), avec sa belle-sœur Madeleine Lioux, la femme de son frère Roland, et « leurs » enfants (le possessif est à mettre entre guillemets). Pourquoi Boulogne, et Boulogne avec Madeleine ? Pour l'un comme pour l'autre, le lieu renvoie aux heures claires de leur jeunesse : Madeleine, « montée » de Toulouse pour préparer le Conservatoire de Paris dans la classe de Marguerite Long, logeait rue des Chalets (rue Salomon Reinach), une rue longeant leur future demeure qu'elle connaissait donc déjà bien, à deux pas de chez Raoul Laparra, un compositeur d'espagnolades également toulousain. Pour Malraux, Boulogne, ce sont les fameux Dimanches de Kahnweiler, le théoricien du cubisme et le marchand d'art des « Quatre mousquetaires », Picasso, Braque, Juan Gris et Derain, où l'entraînait Max Jacob, son mentor dans l'avant-garde de la vie littéraire et artistique de l'époque. La maison existe toujours, rue de L'Ancienne Mairie, où peintres et poètes, tels Masson et Reverdy, Cendrars ou Lipchitz, débattaient à perte de vue, dansaient, et mangeaient en mai des cerises au jardin. Tout près, la maison de Juan Gris, protégé du maître, que signale une plaque, est elle aussi encore debout.
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