André Malraux introduit, dans son roman de 1933 La Condition humaine, un personnage peintre et musicien, qui chercherait « la sérénité », en dehors de l'action révolutionnaire. C'est Kama. C'est le premier artiste qui apparaisse dans son œuvre romanesque. On sait que ce personnage est né de rencontres réelles de Malraux avec le peintre japonais Koichiro Kondo, par l'entremise de Kiyoshi Komatsu, peintre, essayiste japonais. Malraux rend hommage à ce dernier en donnant son prénom au personnage de Kyo (Kyoshi) Gisors. D'après le témoignage de Komatsu, qui deviendra le traducteur d'André Malraux, le dialogue entre Kama et Clappique dans La Condition humaine est calqué sur celui de Kondo et Malraux qui a eu lieu réellement grâce à la traduction de Komatsu dans l'atelier de Kondo à Kyoto en octobre 1931.
On se demande qui est l'artiste Koichiro Kondo. La littérature critique sur l'artiste en langues européennes est quasi inexistante. On peut présenter l'artiste comme suit : Koichiro Kondo (1884-1962) étudie d'abord la peinture à l'huile à l'Ecole des Beaux-Arts de Tokyo dont il sort diplômé en 1910. Il expose au Salon officiel. Vers 1917, il se tourne vers la peinture à l'encre de Chine, puis en 1921 il devient membre de l'Institut des Beaux-Arts du Japon (Nihon bijutsu-in) où il restera jusqu'en 1936. Après son séjour de six mois en France en 1922, il s'oriente définitivement vers le lavis en renonçant aux couleurs. Dès lors jusqu'à la fin de sa vie, le paysagiste Kondo se consacre aux lavis à l'encre de Chine.
Cette communication, faite dans la perspective de l'histoire de l'art, tentera d'apporter une lumière différente sur le rapport et l'amitié entre André Malraux et l'artiste japonais Koichiro Kondo, peintre de lavis, jusqu'ici restés non développés indépendamment. Notre étude est fondée sur des documents japonais et français dont la plupart sont restés inédits en France. Nous évoquerons tout d'abord les circonstances de leur rencontre. Et puis nous présenterons l'artiste peintre Kondo, découvert lors de l'exposition de ses lavis à Paris, en 1931 et en 1932, grâce à l'aide amicale de Malraux et récemment redécouvert lors de la dernière grande exposition rétrospective de l'artiste en 2006 au Japon. Enfin, nous abordons les questions métaphysiques de Malraux sur le sens de l'art et l'acte créateur dans la peinture extrême-orientale, à travers le portrait de Kondo que l'écrivain a intégré dans son roman La Condition humaine sous le nom de Kama. La réflexion sur la vision du monde de l'artiste extrême-oriental sera mise en relation avec des écrits d'orientalistes ou historiens d'art de l'époque. Elle tentera de mesurer l'importance du rôle joué par l'artiste Kondo dans les écrits de Malraux, le seul peintre extrême-oriental du lavis avec qui l'écrivain ait été lié d'amitié.