André Duboscq : «Les événements de Chine», «L'Illustration», n° 4263, 15 novembre 1924, p. 439. (3)

Les télégrammes ont annoncé que, tandis que le maréchal Ou-Pei-Fou, en personne, concentrait des forces entre Pékin et Tien-Tsin pour attaquer le général Feng-Yu-Siang qui l'avait trahi et avait accompli son coup d'Etat, Tchang-Tso-Lin, le 27 octobre, avait attaqué et battu les lieutenants que Ou-Pei-Fou avait laissés devant lui à la frontière de Mandchourie. Un peu plus tard, le 2 novembre, Feng-Yu-Siang attaqua à son tour, à une trentaine de kilomètres au Nord de Tien-Tsin, et infligea une seconde défaite à Ou-Pei-Fou qui put s'enfuir à bord d'un navire.

Cependant, dès le 1er novembre, le cabinet provisoire, constitué le 24 octobre, fit place à un cabinet de concentration présidé par intérim par M. Houang-Fou, mais dont la personnalité la plus en vue est M. C. T. Wang, ministre des Affaires étrangères. Si ce cabinet compte un partisan de Tchang-Tso-Lin et même un partisan de Ou-Pei-Fou, il n'en reste pas moins que le président, qui prend les portefeuilles de l'Education nationale et des Communications, et le ministre des Affaires étrangères sont partisans de Feng-Yu-Siang.

Or, l'on peut dire que les sympathies connues de ces trois personnages, dont les deux derniers sont protestants, affermissent pour l'instant, à Pékin, l'influence américaine; mais ce cabinet, déjà critiqué pour s'être constitué pendant que le président de la République Tsao-Koun était tenu prisonnier dans son palais, à la suite du coup d'Etat, donne l'impression du provisoire. (La démission de Tsao-Koun fut officiellement remise au Parlement et acceptée par lui le 2 novembre seulement, après que les nominations des nouveaux ministres eurent été signées.) Un malaise général règne dans les milieux politiques de Pékin, dans l'attente de l'arrivée de Tchang-Tso-Lin, que l'on sait devoir parler et agir en maître. Une preuve de ce malaise est la précaution qu'a prise Feng-Yu-Siang en faisant enlever du palais de Pékin le jeune empereur et sa famille.

On sait qu'après son abdication, le 12 février 1912, Suen-Tong fut autorisé par la République à «résider librement dans son palais à Pékin». Cette mesure vient d'être rapportée sous le prétexte qu'un complot tendant à une restauration monarchique aurait été découvert. Le ministre des Affaires étrangères déclara d'ailleurs n'avoir eu aucune connaissance d'un tel complot, ce qui prouverait, comme on l'a déjà insinué, qu'une parfaire entente ne règne pas entre le ministre et le général Feng-Yu-Siang. Toujours est-il que Suen-Tong a été relégué dans le yamen de son père à Pékin, le prince Choun, l'ancien régent, et qu'il y est très étroitement surveillé.

On attend donc dans la capitale l'arrivée de Tchang-Tso-Lin; on y attend également celle de Sun-Yat-Sen et celle du maréchal Tuan-Tsi-Jouei, ancien président du Conseil, qui est considéré comme candidat à la présidence de la République.

La conférence qui doit avoir lieu entre ces personnages a pour but de rechercher le meilleur moyen de faire régner l'ordre en Chine. Ou-Pei-Fou, qui tendait au même but, avait souvent déclaré que l'ordre ne viendrait que de l'unification politique du pays, et cette unification elle-même ne pouvait être réalisée, selon lui, que par la force. Tuan-Tsi-Jouei, de son côté, disait, il n'y a pas très longtemps : «Je n'ai entretenu de fortes troupes que pour pouvoir occuper une place honorable pendant la grande guerre aux côtés des Alliés; aujourd'hui la situation a changé, et espérer rétablir l'ordre en Chine avec la force militaire est un rêve irréalisable. Après l'unification de la Chine, la première chose à faire sera de démobiliser et d'employer les soldats congédiés aux travaux utiles de l'agriculture et des routes». Sun-Yat-Sen est pour le self-government des provinces réunies en une fédération. Tchang-Tso-Lin sera-t-il pour l'unification ou le fédéralisme ? Est-il influencé par le Japon dans le sens d'une restauration monarchique, comme on semble le craindre à Pékin, où l'on rappelle qu'il a déjà fait une entente avec les Soviets pour exclure toute difficulté d'ordre extérieur.

Quoi qu'il en soit, si la conférence a lieu, elle suscitera probablement bien des controverses, bien des mouvements d'opinions et l'on peut se demander si elle rétablira l'ordre dans le pays ou si, au contraire, elle n'y mettra pas plus de désordre.


Télécharger l’article.