art. 177, mars 2016 • Claude Pillet : «12 juin 1915, Bolimów (Pologne) : l’assaut de la pitié»

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Une version brève de cet article a paru sur le site électronique du Temps (Genève) en juin 2015.

Evénement extraordinaire, mais complètement oublié de la Première Guerre mondiale : au cours de l'une des premières attaques par les gaz de combat sur le front Est, des soldats allemands se précipitent au secours de leurs ennemis russes. Malraux a fait de cette scène l’un de ses plus saisissants récits.


Pour Dolorès

 

Nous sommes en juin 1915, il y a exactement cent ans. Sur le front Est, depuis huit mois, la 9e armée allemande tente en vain de prendre Varsovie, alors capitale régionale russe. Si ce verrou devait sauter, ce serait un revers majeur pour les Russes. Le Haut-Commandement allemand décide d'avoir recours à un moyen nouveau qui briserait à coup sûr la ligne ennemie : l'utilisation de gaz de combat. C'est exactement ainsi qu'il avait procédé quelques semaines plus tôt (22 et 24 avril) pour contraindre les Alliés à abandonner Ypres, espérant que la 4e armée allemande pourrait ensuite s'emparer des ports de la Manche.

Mis au point par le célèbre chimiste Fritz Haber, ces premiers gaz de combat de l'histoire sont alors composés de chlore et de phosgène. A cause de son goût amer et piquant, et de son aspect verdâtre ou jaunâtre, il sera appelé plus tard «gaz moutarde» et même ypérite en référence à la malheureuse ville flamande. Ce gaz attaque la peau en y provoquant de douloureuses cloques et brûle les yeux, les muqueuses et les poumons ; il détruit également toute vie animale et végétale. Les troupes allemandes concernées disposent de masques à gaz assez rudimentaires, mais assurant une réelle protection. Dans les années qui suivirent, les travaux de Haber feront considérablement avancer la maîtrise de ces substances asphyxiantes ; le chimiste, considéré comme l'un des meilleurs de son temps, recevra le prix Nobel en 1918.

Pour permettre au XVIIe corps d'armée et à la 5e division du groupe Beseler de prendre enfin Varsovie, Fritz Haber est dépêché sur le front Est. Le 31 mai, les vents étant favorables, du chlore additionné de phosgène est répandu en direction des lignes russes. Nulle avancée néanmoins pour les Allemands. Haber attend donc une autre opportunité météorologique. Le général von Pannewitz lui propose l'emplacement idéal, situé un peu plus au nord où des combats avaient fait rage en janvier : l'on y trouve trois petits villages polonais, Bolimów, Borzymów et Sucha, des fermes éparses, deux rivières, la Bzura et son affluent la Sucha qui coulent vers la Vistule, des champs où paissent chevaux et bovins, de petites forêts, des clairières reposantes, un marais grouillant de vie, quelques bosquets de frênes, de saules et de pins. C'est un endroit plus charmant encore que le «Val» de Rimbaud : une campagne absolument idyllique, toute paisible sous le soleil du plus beau mois de l'année. Les Allemands sont à Bolimów, situé à moins de 55 km au sud-ouest de Varsovie ; les Russes sont tout près, à Sucha, et tiennent solidement leurs positions dans les prés et les bois.


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