Françoise Theillou
MALRAUX ET LA COLLECTION RENAULT
Le nom des « Renard » n'est guère associé à celui de Malraux que pour évoquer l'attentat perpétré contre lui par l'O.A.S. à Boulogne, en 1962. Malraux était absent de la maison et seule Delphine Renard, la petite fille de ses propriétaires qui jouait dans le jardin, en fut la victime. L'enfant, âgée de cinq ans, eut le visage détruit et perdit la vue. Ce tragique événement jeta l'opprobre sur l'écrivain resté sourd aux avertissements qu'il avait reçus comme à l'insistante invitation des Renard à quitter les lieux. O scandale, il les avait même menacés « de donner l'armée » s'ils s'acharnaient à vouloir le déloger.
Locataire depuis l'été 45 (soit pendant dix-sept ans) du fameux duplex-atelier de l'Hôtel Renard, haut de sept mètres et inondé de lumière, conçu par l'architecte Jean-Léon Courrèges, le père du célèbre couturier, il s'était passionnément attaché à un lieu qu'il n'avait pas hésité à remanier et qu'il avait entièrement décoré à son goût pour devenir le laboratoire de ses principaux écrits sur l'art, Les Voix du silence et La Métamorphose des dieux, la poursuite d'une certaine Psychologie de l'art commencée pendant la Guerre d'Espagne. Rendu, selon sa propre formule « à ses chères études » par l'échec électoral de janvier 1946 du Général de Gaulle, il rentre à Boulogne un soir de janvier, une reproduction grandeur nature du Moulin de la Galette sous le bras. « La traversée du désert » du Général lui permet d'entreprendre les Mémoires de guerre tandis que son éphémère ministre de l'information s'enferme dans la thébaïde du 19bis de l'avenue Victor Hugo de Boulogne pour se consacrer à ses Ecrits sur l'art. Période féconde où, au fracas des armes, va succéder un travail acharné dans le silence et la solitude, à peine interrompus par le piano de Madeleine.
Dès 1945 pourtant, un jeune homme de dix-sept ans, Claude-Louis Renard, le fils de la propriétaire, vient régulièrement frapper à la porte espagnole du duplex qu'on lui ouvre bien volontiers. Entre 1940 et 1942, il a perdu son grand-père, capitaine d'industrie et peintre (d'où l'atelier à l'italienne de « la maison rose »), son père et son « oncle », les trois hommes de sa famille. Enfant unique, le voici seul avec sa mère que la ruine a contrainte à mettre sa maison en location. Elle s'est seulement réservé le rez-de-chaussée pour elle et son fils. L'adolescent, fougueux, à la curiosité toujours en éveil, est animé de deux passions, la littérature et l'art. Il passe des journées entières à la Bibliothèque Nationale où il aura tout lu de Malraux, y compris Lunes en papier, illustré par Fernand Léger, avant de frapper à sa porte. Il aime aussi à rencontrer les écrivains chez qui il se rend à vélo : Gide, Montherlant, Valéry même auquel il rend visite le jour de la Libération. Celui-ci le reçoit aimablement mais lui enjoint de rentrer chez lui au plus vite, en ces temps encore incertains. Enfin, comme le jeune Malraux, il collectionne les reproductions de peinture et il feuillette les livres rares. Il se construit, déjà, son musée imaginaire.
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Jean Tinguely