art. 206, mai 2018 | document • «Le village des laboureurs» dans la version du Buddha-Karita of Asvaghosha

Présence d'André Malraux sur la Toile, article 206, avril 2018

Revue littéraire et électronique de <www.malraux.org> / ISSN 2297-699X

 


 

Dans les Antimémoires, Malraux évoque la nuit de veille qui a précédé le simulacre d’exécution de Gramat : «Dans quel texte oriental avais-je lu : “Le sens du monde est aussi inaccessible à l’homme que la conduite des chars des rois aux scorpions qu’ils écrasent ?”». (P. 171.)

Voir aussi la page «Souleyman Aaron et Moussa Saïdi».

 


 

Cowell [édit.], Buddhist Mahâyâna Texts, New York, Dover Publications, 1969, p. 49-52.

 

Traduction française et texte en anglais

 

Buddha-Karita of Asvaghosha, livre V, versets 1-22.

 

  1. Lui, fils du roi Sâkya, même s'il était ainsi tenté par les objets de sens dont les autres sont épris, ne succombait pas aux plaisirs et ne sentait pas de joie, comme un lion dont le cœur est profondément percé par une flèche empoisonnée.
  2. Alors, un jour, accompagné par des fils dignes des ministres de son père, des amis aux conversations variées, – désirant voir les clairières de la forêt et recherchant la paix, il sortit avec la permission du roi.
  3. Après avoir monté son bon cheval Kamthaka, orné de cloches et d'un mords d'or nouveau, avec un magnifique harnais doré et le chasse-mouche ondoyant, il s'en alla comme la lune montée sur une comète.
  4. Attiré par l'amour des bois et recherchant les beautés du sol, il alla dans un endroit proche, aux abords de la forêt ; là il vit une parcelle de terre en train d'être labourée, avec le chemin de la charrue cassé, comme les vagues sur l'eau.
  5. Ayant contemplé le sol dans cet état, avec ses jeunes herbes éparpillées et déchirées par la charrue, et couvert d'œufs et de progénitures de petits insectes morts, il fut rempli d'un chagrin profond à cause du massacre de ses semblables.
  6. Et, en contemplant les hommes en train de labourer, leur peau abîmée par la poussière, les rayons du soleil et le vent, et leur bétail désemparé par le fardeau de devoir tirer, le plus noble sentait une compassion extrême.
  7. Après être descendu du dos de son cheval, il marcha lentement, rempli de chagrin, – méditant sur la naissance et de la destruction du monde, il s'exclama, affligé : « c'est en effet pitoyable ».
  8. Puis, désirant être parfaitement seul avec ses pensées, ayant arrêté les amis qui le suivaient, il se rendit au pied d'un pommier rose dont les magnifiques feuilles tremblotaient (au vent), dans un endroit solitaire.
  9. Là il s'assit sur le sol couvert de feuilles, avec de l'herbe jeune et brillante comme le lapis-lazuli ; et, méditant sur l'origine et la destruction du monde, il prit le chemin qui mène à la fermeté de l'esprit.
  10. Ayant atteint la fermeté de l'esprit, et étant ainsi libéré de tout chagrin, comme le désir de choses matérielles et du reste, il atteignit la première étape de la contemplation, indifférent face aux vices, calme, et « critique».
  11. Ayant ensuite obtenu la plus haute forme de bonheur venue de la délibération, il réfléchit ensuite à cette méditation, – ayant complètement compris dans son esprit le cours du monde :
  12. « Le fait que l'humanité, bien qu'elle soit elle-même impuissante et sujette à la maladie, à la vieillesse et à la mort, et pourtant aveuglée par la passion et ignorante, regarde avec dégoût quelqu'un affligé par la vieillesse, la maladie ou la mort, est misérable. »
  13. « Si moi, ici, étant moi-même, j'éprouvais du dégoût pour quelqu'un de telle nature, cela ne serait pas digne ou correct de moi qui connais ce devoir suprême. »
  14. Alors qu'il considérait en détail ces défauts de maladie, de vieillesse et de mort qui appartiennent à tous les êtres vivants, toute la joie qu'il avait ressenti dans l'exercice de sa vigueur, de sa jeunesse et de sa vie, disparut en un instant.
  15. Il ne se réjouissait pas, il ne ressentait pas de remords ; il n'hésitait pas, ne ressentait ni indolence ni sommeil ; il n'était pas attiré par les qualités du désir, il ne détestait ni ne méprisait les autres.
  16. Ainsi cette méditation pure, sans passion grandit à l'intérieur de celui à la grande âme ; et, inobservé, par les autres hommes, un homme en guenilles s'en approchait discrètement.
  17. Le fils du roi lui posa une question – il lui dit, « Dites-moi, qui êtes-vous ? » et l'autre répondit, « Ô taureau des hommes, moi, terrorisé à l'idée de la naissance et de la mort, je suis devenu un ascète au nom de la libération.
  18. « Désirant la libération dans un monde sujet à la destruction, je recherche une demeure heureuse et indestructible, – isolée de l'humanité, avec mes pensées différentes de celles des autres, et avec mes passions coupables détournées de tous les objets du sens.
  19. « Habitant n'importe où, au pied d'un arbre, ou dans une maison inhabitée, à la montagne ou dans la forêt, – j'erre sans famille et sans espoir, un mendiant prêt pour n'importe quoi, cherchant seulement le plus grand bien. »
  20. Après avoir ainsi parlé, alors que le prince regardait plus loin, il s'envola soudainement vers le ciel ; c'était un habitant céleste qui, sachant que les pensées du prince étaient différentes de ce que montrait son apparence, était venu à lui pour réveiller ses souvenirs.
  21. Lorsque l'autre fut parti comme un oiseau dans les cieux, le premier des hommes était réjoui et étonné ; et ayant compris le sens du terme dharma, il se mit à réfléchir à la manière d'accomplir la délivrance.
  22. Alors, comme Indra lui-même, et ayant dompté ses sens, – désirant rentrer à la maison, il monta sur son noble destrier ; et l'ayant fait retourner en cherchant ses amis, dès ce moment-là, il ne rechercha plus la forêt désirée.

 

Traduction de Julia Bachmann et de Catherine Joynes

 

Pour télécharger le texte anglais et  français.

 

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