art. 213, mai 2018 | document • La Bhagavad Gîtâ, II, VII, IX et X (les versets retenus par Malraux)

La Bhagavad-Gîtâ, traduite du sanskrit, avec une introduction par Emile Senart, Paris, Les Belles Lettres, 1967 [1944], 63 p.


 

La Bhagavad-Gîtâ, II, VII, IX et X

 

En gras, les passages évoqués par André Malraux

 

Deuxième lecture

La spéculation

 

Sanñjaya dit :

  1. Le voyant ainsi envahi par la pitié, aveuglé par un flot de larmes, tout hors de lui, Madhusûdana lui tint ce langage :

 

Bhagavat dit :

  1. D'où te viennent, ô Arjuna, à l'heure du danger, ces pensées troubles, indignes d'un ârya, ces pensées qui ne mènent ni au ciel ni à l'honneur ?
  2. Pas de lâcheté, ô fils de Prithâ; cela te sied mal; chasse une défaillance misérable et lève-toi, redoutable guerrier.

 

Arjuna dit :

  1. Comment lutter, ô vainqueur de Madhu ? Comment diriger mes flèches contre Bhishma, contre Drona, ces hommes, ô héros vainqueur, à qui je dois tous les respects ?
  2. Plutôt qu'attenter à la vie de maîtres vénérables, mieux voudrait vivre ici-bas d'aumônes. A frapper ces maîtres, même coupables de désirs cupides, ma nourriture, dès cette terre, serait souillée de sang.
  3. Et nous ne savons pas ce qu'il nous faut plus redouter de les vaincre ou d'être vaincus par eux. Ces fils de Dhritarâshtra, alignés devant nous, en les frappant nous perdrions tout motif de désirer vivre.
  4. Pitié et scrupule paralysent mes instincts de guerrier; mon esprit troublé discerne mal le devoir; je m'adresse à toi; dis-moi nettement ce qui est bien; je suis ton disciple; instruis-moi; je me réfugie en toi.
  5. Car je ne vois rien qui puisse dissiper l‘angoisse qui anéantit mes forces, dussé-je obtenir la souveraineté prospère, incontestée de la terre, voire le rang de maitre des dieux.

 

Sanñjaya dit :

  1. Quand il eut ainsi parlé à Hrishîkeça, quand il eut déclaré à Govinda qu'il ne combattrait pas, Gudâkeça, le héros terrible garda le silence.
  2. Hrishîkeça, ô Bhârata, répondit avec un sourire au héros qui se désolait ainsi entre les deux armées :

 

Bhagavat dit :

  1. Tu t'apitoies là où la pitié n'a que faire, et tu prétends parler raison. Mais les sages ne s'apitoient ni sur qui meurt ni sur qui vit.
  2. Jamais temps où nous n'ayons existé, moi comme toi, comme tous ces princes; jamais dans l'avenir ne viendra le jour où les uns et les autres nous n'existions pas.
  3. L'âme, dans son corps présent, traverse l'enfance, la jeunesse, la vieillesse; après celui-ci elle revêtira de même d'autres corps. Le sage ne s'y trompe pas.
  4. Les impressions des sens, ô fils de Kuntî, chaud et froid, plaisir et peine, vont et viennent : elles sont fugitives; il n'est, ô Bhârata, que de les supporter.
  5. Car l'homme qu'elles ne troublent pas, ô taureau des hommes, l'homme ferme, indifférent au plaisir et à la peine, celui-là est mûr pour l'immortalité.
  6. Pas d'existence pour le néant, pas de destruction pour l'être. De l'un à l'autre le philosophe sait que la barrière est infranchissable.
  7. Indestructible, sache-le, est la trame de cet univers; c'est l'Impérissable; la détruire n'est au pouvoir de personne.
  8. Les corps finissent; l'âme qui s'y enveloppe est éternelle, indestructible, infinie. Combats donc, ô Bhârata !
  9. Croire que l'un tue, penser que l'autre est tué, c'est également se tromper; ni l'un ne tue ni l‘autre n'est tué.
  10. Jamais de naissance, jamais de mort; personne n'a commencé ni ne cessera d'être; sans commencement et sans fin, éternel, l'Ancien n'est pas frappé quand le corps est frappé.
  11. Celui qui le connaît pour indestructible, éternel, sans commencement et impérissable, comment cet homme, ô fils de Prithâ, peut-il imaginer qu'il fait tuer, qu'il tue.
  12. Comme un homme dépouille des vêtements usés pour en prendre de neufs, ainsi l'âme, dépouillant ses corps usés, s'unit à d'autres, nouveaux.
  13. Le fer ne la blesse pas plus que le feu ne la brûle, ni l'eau ne la mouille, ni le vent ne la dessèche.
  14. Elle ne peut être ni blessée, ni brûlée, ni mouillée, ni desséchée; permanente, pénétrant tout, stable, inébranlable, elle est éternelle.
  15. Insaisissable aux sens, elle ne peut être imaginée et n'est sujette à aucun changement. La connaissant telle, tu ne saurais concevoir aucune pitié.
  16. Que si, même, tu pensais qu'elle naît ou meurt indéfiniment, même alors, ô héros, tu ne devrais concevoir aucune pitié pour elle.
  17. Car ce qui est né est assuré de mourir et ce qui est mort, sûr de naître; en face de l'inéluctable, il n'y a pas de place pour la pitié.
  18. Les êtres, ô Bhârata, nous échappent dans leur origine; perceptibles au cours de leur carrière, ils nous échappent de nouveau dans leur fin. Qu'y peuvent les lamentations ?
  19. C'est merveille que personne la découvre; merveille aussi que quelqu'un l'enseigne, merveille qu'un autre en entende la révélation; et, même après avoir entendu, personne ne la connaît.
  20. Dans tout corps cette âme, ô Bhârata, demeure éternellement intangible; renonce donc à t'apitoyer sur l'universelle destinée.
  21. Considère aussi ton devoir personnel et tu ne reculeras pas; car rien pour le Kshatriya ne passe avant un combat légitime.
  22. D'où qu'il lui soit offert, il ouvre pour lui la porte du ciel; trop heureux sont les Kshatriyas, ô fils de Prithâ, d'accepter un pareil combat.
  23. Te refuser à cette lutte légitime, ce serait forfaire à ton devoir, à l'honneur et tomber dans le péché.
  24. L'univers racontera ton irréparable honte; la honte est pour l'homme d'honneur pire que la mort.

 

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